Le rapport sur la torture pratiquée par la CIA durant l’après 11 Septembre n’en finit pas de faire des étincelles. Après le grand Mea Culpa d’une nation et de son président, ce sont les organisations directement responsables qui prennent la parole, alors que la complicité de pays alliés des Etats-Unis fait est mise en cause.
Comme plusieurs fois dans son histoire – après le Vietnam, après le Watergate ou après le scandale de la prison d’Abou Ghraïb en Irak -, l’Amérique passe aux aveux. Si culturellement, le mea culpa est une pratique courante aux Etats-Unis (on se souvient de Tiger Woods, Bill Clinton, ou plus récemment la tournée des plateaux façon fourches caudines de John Galliano annonçant son grand retour) il est intéressant de voir que les excuses publiques peuvent aussi être pratiquées par une nation.
Le président américain Barack Obama avait mis fin à ce programme dès son arrivée à la Maison Blanche en 2009, jugeant que les méthodes utilisées contre les détenus étaient contraires aux valeurs des Etats-Unis, et « que toute personne honnête devrait considérer comme de la torture. » Il a ensuite entrepris une longue campagne d’excuses publiques, pour accoutumer peu à peu la public aux fait révélés par ce rapport, longuement retardé – officiellement pour y retirer tout contenu susceptible de mettre en danger des citoyens.
« Le rapport aide le pays à laisser ces techniques à ce à quoi elles appartiennent, c’est-à-dire au passé. » déclarait Obama. Cependant, le président n’a jamais voulu ouvrir un procès qui risquerait de mettre en péril l’agence d’espionnage et «les héros» qui ont su assurer la sécurité de l’Amérique. Pas question non plus d’une mise en accusation du président Bush, véritable boîte de Pandore.
Jeudi 11 décembre, soit quarante-huit heures après la publication du rapport accablant, le directeur actuel de l’agence de sécurité américaine, John Brennan, a donné une conférence de presse. Il a qualifié de « répugnantes » certaines méthodes d’interrogatoire « hors limites », estimant par ailleurs qu’il était « impossible de savoir » si la torture utilisée contre des membres présumés d’Al-Qaida avait permis de leur soutirer des renseignements valables pour empêcher de futurs attentats. Refusant d’employer le mot de torture – « je laisse à d’autres le soin de qualifier ces activités » –, M. Brennan a reconnu que la CIA avait « navigué en terrain inconnu. »
Privation de sommeil, simulations de noyade, prisonniers jetés contre les murs de leurs cellules ou forcés à rester debout attachés nus… Le rapport publié mardi souligne que les agents qui participaient à ce programme ont agi avec plus de brutalité et de liberté qu’initialement anticipé. «Dans un nombre limité de cas, des membres de l’agence ont employé des techniques d’interrogatoire qui n’étaient pas autorisées, qui étaient répugnantes et qui doivent être justement refusées par tous. Et nous ne sommes pas parvenus à tenir ces agents responsables de leurs actes. Nous n’étions pas préparés» a t-il ajouté.
Le compte rendu du rapport souligne également l’appui de nombreux pays aux services de renseignement américains – 54 selon un document publié en 2013 par Open Society Justice Initiative, fondation de George Soros spécialisée dans la défense des libertés. La commission du renseignement du Sénat détaille le fonctionnement de huit «sites noirs», des prisons secrètes américaines présentes dans cinq pays : l’Afghanistan (qui accueillait à lui seul quatre sites), la Pologne, la Lituanie, la Roumanie et la Thaïlande.
Mercredi, l’ex-président polonais Aleksander Kwasniewski a confirmé que la torture a bien été pratiquée en Pologne par des agents de la CIA. Il dit avoir ignoré ces faits au départ et avoir demandé à George W. Bush en 2003 l’arrêt d’interrogatoires violent de suspects. Onze autres Etats ont ouvert les portes de leurs prisons aux agents de la CIA pour qu’y soient menés des interrogatoires musclés. L’Egypte, la Libye, le Maroc et la Syrie sont notamment pointés du doigt. Comme ces derniers, 38 autres pays ont facilité l’arrestation, le transit ou la détention de suspects, se rendant ainsi complices des agissements de la CIA. Parmi eux, de nombreux Etats européens, comme l’Espagne, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ainsi que le Canada, Hong Kong et l’Afrique du Sud.
De nombreuses voix se sont mobilisées afin d’empêcher la publication du rapport, notamment au sein de la CIA ou des anciens de l’administration Bush, visiblement considérée comme à l’origine de cette politique de tortures. Alors que son camp était majoritairement défavorable à la publication du rapport, le sénateur républicain John McCain a pris parti pour cette publication dans un vibrant plaidoyer contre la torture, dont il fut lui-même victime durant sa captivité au Vietnam. «Il ne s’agit pas de nos ennemis, il s’agit de nous. Il s’agit de ce que nous étions, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons devenir», a-t-il résumé, dans un témoignage poignant.«La vérité est une pilule parfois difficile à avaler. Elle nous met parfois en difficulté, chez nous et à l’étranger. Elle est parfois utilisée par nos ennemis. Mais les Américains y ont droit malgré tout.»
Laisser un commentaire