Sanctions contre Russie : l’Europe fait-elle fausse route ?

Sanctions contre Russie : l’Europe fait-elle fausse route ?

Le mois dernier, l’Union européenne a adopté de nouvelles sanctions à l’encontre de la Crimée, y interdisant notamment tous les investissements européens. Ces dernières directives viennent allonger la liste des mesures prises par l’UE depuis juillet pour montrer à la Russie son désaccord quant à l’annexion jugée « illégale » de la Crimée. Loin de rencontrer les effets escomptés, ces sanctions révèlent au contraire des dommages collatéraux affectant peu à peu l’ensemble de l’économie européenne.

Quand l’Europe veut jouer les gendarmes

Face à Poutine, l’Europe a décidé de frapper fort, sans forcément savoir si elle allait frapper juste. Depuis le 29 juillet, l’UE a en effet décidé d’appliquer une flopée de sanctions visant la Russie et censées faire fléchir le président russe de ses positions fermes au sujet de la Crimée. L’objectif : rendre à cette péninsule située au sud de l’Ukraine sa capacité à suivre « sa propre voie », comme le laissait alors entendre Barack Obama. C’est la première fois que l’Europe prend de telles mesures à l’encontre de la Russie et pour une première, Bruxelles a concocté un méli mélo punitif convaincant sur le papier mais qui rencontre rapidement ses limites une fois en vigueur.

Au programme de cette mission « Crimée et châtiments », des sanctions économiques empêchant la Russie d’accéder aux marchés financiers européens, des sanctions militaires avec l’instauration d’un embargo sur l’import et l’export d’armes ou encore des sanctions d’ordre technologique et énergétiques. Un cahier des charges qui vient récemment d’être renchéri par de nouvelles règles en la matière, prises juste avant un sommet exceptionnel de l’UE organisé pour convenir des relations à adopter avec la Russie dans les mois à venir. Avec toujours la même marotte, convaincre la Russie de revoir ses positions à l’égard de l’Ukraine. « Le président Poutine et les dirigeants russes doivent réfléchir sérieusement à […] un changement radical d’attitude envers le reste du monde », a déclaré Federica Mogherini, chef d’état de la diplomatie européenne.

Dans sa volonté de se positionner un grand défenseur de la morale internationale, l’Europe s’est rapidement heurtée au difficile dosage que nécessite l’application de smart sanctions (sanctions intelligentes). Influencer la Russie dans la façon dont elle gère sa politique extérieure sans impacter la population russe tout en préservant l’économie européenne représente un défi périlleux que Bruxelles est en train de perdre.

Effet boomerang

« L’arc n’atteint pas toujours la cible qu’il menace » disait Horace. En choisissant Poutine pour cible, il semblerait que l’UE ait mal négocié les répercussions de la stratégie de sanctions mise en place et la capacité de l’adversaire à retomber sur ses pattes. Quand l’Europe ferme les vannes commerciales avec la Russie, elle encourage le Kremlin à aller chercher de nouveaux partenaires économiques et nouer des accords avec d’autres pays, comme ce fut récemment le cas avec la Chine et les trente-huit accords intergouvernementaux signés entre les deux pays.

Loin de faire changer Poutine d’avis concernant son annexion de la Crimée, l’UE est actuellement en train de sceller une opposition forte entre les deux territoires. Une opposition dont elle est par ricochet une des principales victimes. Si Poutine réussit à amoindrir les conséquences des sanctions européennes en se trouvant de nouveaux alliés économiques, certains pays européens sont en train de payer très cher les tensions actuelles.

La Russie est le troisième partenaire commercial de l’UE, avec un rapport importation – exportation qui place l’Europe dans une situation de dépendance russe plus prononcée. Jusqu’à présent, l’UE aurait débloqué quelques 125 millions d’euros pour soutenir le secteur agro-alimentaire mais de nombreux experts considèrent que cette enveloppe budgétaire ne saurait compenser l’amputation commerciale russe.

En menaçant la Russie, l’Europe est en train de se tirer une balle dans le pied et de faire payer à son économie ses désirs moralisateurs. La Pologne pourrait par exemple voir son PIB reculer de 0.6 % à cause des restrictions dont fait l’objet l’ancien empire. Si l’inquiétude se fait sentir chez les producteurs de fruits et légumes, le durcissement des rapports entre l’Europe et la Russie pourrait également avoir des conséquences désastreuses sur le secteur énergétique.

Principale fournisseur de gaz pour de nombreux pays européens (40 % du gaz consommé en Allemagne est importé de Russie), l’Europe a fort à perdre en faisant de l’ancien empire un ennemi. « Beaucoup de pays de l’Est de l’Europe sont dans une situation de quasi-dépendance au gaz russe. Ils disposent très certainement de plusieurs mois de réserve, mais un vrai problème peut se poser si Moscou décide de couper les vannes », reconnait le directeur de la FRS. L’Europe a-t-elle les moyens de se passer de ce partenaire historique en matière d’énergie ? Le risque est majeur et prouve que Bruxelles n’a anticipé en rien la portée que pourrait avoir sa stratégie de sanctions.

Une liste noire controversée

Dans cette nouvelle guerre politique, l’UE ne s’est pas seulement contenter de fixer des sanctions menaçant in fine les intérêts commerciaux européens, elle a également dressé une liste noire de personnalités accusées d’être des proches de Poutine ou de tirer profit de l’annexion de la Crimée. Gel des avoirs, interdiction de se rendre sur le territoire de l’UE, c’est plus d’une centaine d’individus qui se retrouve aujourd’hui dans le collimateur de Bruxelles.

Encore une fois, l’Europe fait montre d’une approximation en matière de trajectoire de cible qui rend difficile, voire injustifiée l’application de ses sanctions. Une légèreté dans sa façon de procéder qui voit bon nombre de personnes injustement inscrites aux bancs des accusés. C’est notamment le cas d’Oleksandre Klymenko, ancien ministre ukrainien aujourd’hui blacklisté par Bruxelles. Pourtant étranger aux affaires qui touchent actuellement l’Est de l’Ukraine, il semblerait que le seul fait d’avoir appartenu au gouvernement de Yanoukovych suffise pour devenir persona non grata. Pour preuve, les accusations dont fait l’objet Klymenko demeurent encore aujourd’hui obscures et infondées.

Dans cette véritable chasse aux sorcières, l’Europe ne s’embarrasse pas de savoir qui est responsable de quoi, elle se contente de ratisser au plus large en espérant affaiblir le système Poutine au risque de tomber à côté. Klymenko n’est pas un cas isolé et des dizaines de personnes ou d’entreprises paient aujourd’hui le poids de ces sanctions arbitraires.

« Les sanctions comme instrument de politique extérieure (sont) peu efficaces et n’ont jamais apporté les résultats attendus », a dernièrement déclaré le président russe à la télévision publique. Inébranlable, Vladimir Poutine n’en reste pas moi un chef d’État qui prend désormais les mesures européennes comme un affront, gelant définitivement des relations vitales pour notre continent. En mettant en place sa stratégie de sanctions, l’UE a essayé de trouver un juste équilibre pour persuader le Kremlin d’assouplir ses positions envers la Crimée tout en préservant l’économie européenne et russe. Trop légère, cette tactique n’a pas fait flancher Poutine et l’a au contraire poussé à revoir son plan de table concernant ses partenaires commerciaux. De bonne volonté, l’UE s’est confronté aux limites de son action. Reste à savoir jusqu’à quand Bruxelles tiendra tête à Poutine car dans cette histoire, les données nous montrent celui qui a le plus à perdre n’est pas forcément celui qu’on croit.

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