Attentat de Bangkok : la junte militaire en difficulté

Attentat de Bangkok : la junte militaire en difficulté

« Nous en avons arrêté un de plus, il n’est pas Thaïlandais », a déclaré à la presse le général Prayuth Chan-ocha après l’arrestation d’un deuxième suspect de l’attentat de Bangkok du 17 août dernier qui a fait 21 morts et 120 blessés. Cette arrestation fait suite à celle d’un premier suspect le 28 août dernier, un étranger qui se trouvait en possession de matériaux de fabrication d’une bombe et de dizaines de passeports. Pas encore revendiquée, l’attaque terroriste est intervenue dans un climat de tensions entre le gouvernement ultra-conservateur et nationaliste et ses opposants, au nombre desquels les partisans de la famille Shinawatra, mais aussi face à la minorité musulmane Ouïghoure, discriminée par la junte militaire.

La communauté ouïghoure soupçonnée d’avoir agi en représailles des expulsions

Après un mois d’enquête, l’attentat du sanctuaire hindouiste d’Erawan n’a toujours pas été revendiqué. Plusieurs scénarios ont été évoqués, dont celui de représailles de la part de la communauté ouïghoure, minorité musulmane persécutée en Chine. Plusieurs centaines de Ouïghoures se sont réfugiés en Thaïlande ces derniers mois pour fuir leur région d’origine, immense territoire aux confins occidentaux de la Chine, à la frontière de l’Asie centrale.

La recrudescence des incidents violents à caractère ethnique et religieux depuis deux ans a fait plusieurs centaines de déplacés. Or le général Chan-ocha n’entend pas les accueillir sur le sol thaïlandais. Le régime a ainsi déporté 109 d’entre eux – essentiellement des hommes – vers la Chine le mois dernier. En parallèle, il autorisait 180 personnes – femme et enfants pour la plupart – à rejoindre la Turquie. Ces expulsions arbitraires qui séparent des couples et des familles ont provoqué l’indignation internationale. La Délégation de l’Union européenne en Thaïlande s’est empressée de condamner ce qu’elle qualifie de violation du principe de non-refoulement, principe fondamental du droit humanitaire international. Le Consulat thaïlandais en Turquie a par ailleurs été saccagé.

Au delà de ces tensions, le fait que les touristes chinois aient été les cibles manifestes de l’attentat de ce haut lieu touristique de la capitale est déterminant pour les autorités thaïlandaises. Elles ont depuis interrogé plusieurs membres de la communauté au sujet de l’attentat. Elles sont même allées plus loin : les touristes turcs venus en Thaïlande depuis le mois dernier font dorénavant l’objet d’une enquête de la part des autorités.

La piste des opposants à la junte militaire

Le scénario des opposants à la junte militaire a également été évoqué. De fait, le régime autoritaire en place n’a cessé de prendre des mesures de plus en plus fermes à l’encontre de la population. A la tête du pays depuis le coup d’Etat du 22 mai 2014 qui a déposé Yingluck Shinawatra, petite sœur de l’ancien Premier ministre, Thaksin Shinawatra, le gouvernement du Général Prayuth Chan-ocha s’est lancé dans une « sérieuse escalade de la répression » selon l’organisation non gouvernementale (ONG) Human Rights Watch.

Selon Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à I’Institut français des relations internationales (Ifri), « la Thaïlande est toujours polarisée entre ceux qui soutiennent d’une part le gouvernement du général Prayuth Chan-ocha et ceux qui contestent les méthodes employées par la junte militaire. L’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra lui-même (…) a appelé l’opposition à rejeter le projet de Constitution qui doit être soumis au Conseil de la réforme nationale, le 7 septembre prochain. Un véritable bras de fer est en train de reprendre », analyse-t-elle. « De plus, alors que le général Prayuth Chan-ocha avait lui-même annoncé à grands cris qu’il voulait lutter contre la corruption et le népotisme, il a l’intention de nommer au poste très convoité de chef des armées son propre frère. Il y a véritablement deux poids deux mesures et cette situation est de moins en moins tolérée par les Thaïlandais. Mais de là à dire que c’est l’opposition qui est derrière l’attaque, il faut rester très prudent », tempère la chercheuse. D’autant plus prudent que la piste des narcotrafiquants n’est elle aussi pas totalement à négliger dans ce pays du Triangle d’or.

Quoiqu’il en soit, l’attaque aura eu pour effet – sinon pour but – d’écorner l’image de la Thaïlande et d’alerter sur les nouvelles dérives de la junte militaire au pouvoir. Pour Sophie Boisseau du Rocher, « le secteur touristique est important mais n’est pas stratégique en Thaïlande par rapport à d’autres secteurs comme l’industrie ou les services. (…) C’est sur le plan symbolique qu’il faut peut-être chercher une réponse à ces questions parce que ces attentats jettent un nouveau discrédit sur la junte qui est au pouvoir depuis maintenant quinze mois et qui ne parvient pas à régler le problème. Au fond, c’est l’image de la Thaïlande qui est un peu plus écornée par ce terrible attentat » conclut-elle.

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