À l’approche des élections législatives en Algérie, le statu quo politique demeure total, en dépit de la grave crise économique et démocratique qui frappe le pays. Derrière l’immobilisme du pouvoir en place, l’opposition peine à faire entendre la voix du renouveau.
Malgré la légère reprise des cours du pétrole depuis le début de l’année, la situation économique de l’Algérie ne cesse d’empirer. Avec 70 % de revenus pétroliers en moins depuis l’été 2014, de l’aveu du gouvernement, le plus grand pays du Maghreb et d’Afrique en superficie est parmi les plus touchés au monde après la Russie et le Venezuela. Et avec toujours 39 % de revenus pétroliers en moins au premier trimestre 2016, d’après les douanes algériennes, il continue de voir sa croissance s’effondrer : de 3,7 % en 2015 à 3,4 % en 2016, elle devrait plonger encore plus bas en 2017 avec un taux à 2,9 %, selon les prévisions du FMI. En 2015, l’Algérie a affiché une balance commerciale déficitaire pour la première fois en 25 ans : 13,7 milliards de dollars, et même 26 milliards prévus en 2016 par le ministère algérien des finances. Sans surprise, le pays a reculé à la 163e place sur 189 dans le classement Doing business 2016 de la Banque mondiale, loin de sa 132e place en 2008 et très loin derrière ses voisins la Tunisie (74e) et le Maroc (75e).
La dégringolade économique de l’Algérie était tout sauf imprévisible, quand on sait que 96 % des recettes extérieures proviennent des hydrocarbures, qui comptent pour la moitié du PIB et 60 % du budget national, soulignait en mars un article du magazine français Capital. Cinquième producteur mondial de gaz et 13e pour le pétrole, l’ancienne puissance nord-africaine a payé sa confiance aveugle dans la valeur des hydrocarbures, aux dépens des autres secteurs de son économie. Au pouvoir depuis 17 ans, Abdelaziz Bouteflika a clairement raté le virage de la diversification économique, qui consiste à diminuer la dépendance pétrolière en cas d’effondrement des cours. Au lieu d’investir dans le développement des infrastructures et des secteurs non-pétroliers de l’industrie algérienne, le gouvernement a continué à miser sur ses réserves fossiles, tout en subventionnant les produits de première nécessité pour acheter la paix sociale. Résultat : la population est frappée de plein fouet par la dégringolade de son niveau de vie. L’inflation a grimpé de 2,92 % à 6,33 % entre 2014 et 2016, et le cours du dinar a baissé de 15 % par rapport à l’euro en un an. D’après l’Office national de la statistique, le chômage est passé de 25,2 % à 30 % entre 2015 et 2016 chez les moins de 25 ans, qui représentent 46 % des habitants du pays.
Mandat sur mesure et crime de lèse-majesté
Aux commandes depuis son élection en 1999, Abdelaziz Bouteflika est d’autant plus responsable de la profonde crise que traverse l’Algérie qu’il a habilement manœuvré pour rester au pouvoir au-delà des deux mandats prévus par la Constitution. En 2008, le Parlement algérien a supprimé cette limitation, laissant le champ libre au président, réélu en 2009 puis en 2014 malgré une santé chancelante. Accusé de viser une présidence à vie, le chef de l’État de 79 ans entend plutôt se tailler un mandat sur mesure. En février 2016, les parlementaires ont validé son projet de loi pour rétablir la limite des deux mandats présidentiels, qui lui laissent toutefois la possibilité de signer un cinquième bail si l’envie lui prenait. Entretemps, l’absence de réformes structurelles et le manque de projets d’envergure plombent l’action d’Abdelaziz Bouteflika, qui tente par tous les moyens de contenir le mécontentement d’une part croissante de la population.
Alors que la menace sécuritaire est au plus haut dans la région du Sahel, le gouvernement préfère faire la guerre aux critiques. Suite à ses propos jugés « diffamatoires » sur l’État algérien, le journaliste et blogueur Mohamed Tamalt a été placé en détention le 27 juin, puis condamné à deux ans de prison. Depuis cet été, il observe une grève de la faim qui l’a conduit à plusieurs reprises à l’hôpital. Tandis qu’Amnesty International appelle les autorités algériennes à le libérer, l’ancien général Hocine Benhadid, emprisonné à 72 ans pour avoir critiqué le président, a lui été relâché, mais seulement parce qu’il présentait de graves problèmes de santé. Preuve du climat orageux pour la liberté d’expression, la justice algérienne vient également d’annuler le rachat du groupe de médias El Khabar par la filiale privée Nessprod. Même Manuel Valls, le premier ministre français, a dû faire preuve de repentance après avoir publié sur Twitter une photo en compagnie d’un Abdelaziz Bouteflika visiblement inanimé lors d’une visite au palais présidentiel en avril…
Les doutes de l’opposition sur l’honnêteté du scrutin
Et l’opposition dans tout cela ? Son principal représentant, l’ancien premier ministre Ali Benflis, ose dénoncer « le blocage des institutions », « l’impasse politique » et la « dégradation avancée de l’économie », qu’il met sur le dos de la « vacance de pouvoir ». Ce juriste de formation connaît bien les arcanes du pouvoir, lui dont les convictions dans la modernisation du pays l’ont écarté plusieurs fois du gouvernement. En 1991, Ali Benflis avait démissionné du ministère de la Justice suite au refus de sa proposition de réforme du système judiciaire. Après s’être éloigné de la politique, il a dirigé la première campagne présidentielle d’Abdelaziz Bouteflika, dont il fut le premier ministre jusqu’en 2003. Après sa rupture avec le président algérien pour divergences politiques, suivi de deux candidatures à la présidence en 2004 et en 2014, le premier opposant au système Bouteflika a créé en 2015 le parti Talaie El Houriat (« Avant-gardes des libertés »), qui semble bien seul dans un paysage politique contrôlé par le pouvoir en place.
« Le vide au sommet de l’État fait que les problèmes sont laissés en jachère. Il n’y a aucune vision de long terme. Ce n’est pas l’Algérie qui est à bout de souffle, mais le régime qui la dirige, confiait-il en juillet dernier au journal Le Monde. La société algérienne aspire à la modernité politique, économique et sociale. La seule façon de sortir de l’impasse actuelle est l’établissement d’un État de droit, fondé sur le respect des institutions, de la citoyenneté et des libertés. » Au moment de se lancer dans la campagne pour les élections législatives prévues en mai 2017, le leader de Talaie El Houriat confiait toutefois sa prudence avant d’annoncer sa candidature, préoccupé par « l’accumulation de signes annonciateurs d’une déstabilisation sociale ». « Nous avons besoin d’un pacte entre l’opposition et le pouvoir, qui permette d’aboutir à la tenue d’un scrutin honnête sous supervision d’une instance indépendante, plaide-t-il. Aujourd’hui, les élections à tous les niveaux sont entachées de fraude. »
Alors que le pays a le choix entre la réforme et le chaos, le renouvellement des instances politiques paraît aussi indispensable qu’urgent. « Le pouvoir actuel est incapable de tracer de nouveaux horizons aux Algériens. Il est source de danger. Même si nos demandes n’aboutissent pas, au moins l’Histoire retiendra qu’on aura parlé », confiait avec résignation Younes Saber Chérif, porte-parole de Jil Jadid (« Nouvelle génération »), à Jeune Afrique lors d’un rassemblement des partis d’opposition en mars. Face à un système rôdé depuis 17 ans, les voix adverses semblent ne plus se faire beaucoup d’illusions. Mais continuent de caresser l’espoir d’un changement du bout des doigts.
Laisser un commentaire