Crise du Golfe : l’Arabie saoudite prête à tout pour « ne pas perdre la face » ?

Crise du Golfe : l’Arabie saoudite prête à tout pour « ne pas perdre la face » ?

Dans la crise du Golfe qui secoue la Péninsule arabique depuis le 5 juin dernier, Riyad est de plus en plus critiquée pour l’embargo qu’elle a mis en place sur son voisin émirati. Et la récente rupture des négociations avec Doha sous un prétexte pour le moins douteux ne risque pas de changer la donne. Le Royaume saoudien semble aujourd’hui prêt à faire perdurer cette crise plutôt que d’admettre publiquement que ce blocus est un fiasco.

Plus le temps passe et plus la question est légitime : l’Arabie saoudite veut-elle réellement se rabibocher avec le Qatar ? Au vu des événements récents, il est permis d’en douter. Pour rappel, le 5 juin dernier, Riyad a rompu ses relations diplomatiques avec Doha, accusée de faciliter le terrorisme dans la région et de s’être rapprochée de l’Iran, la bête noire des Saoudiens. Avec l’appui de l’Egypte, des Emirats arabes unis (EAU) et du Bahreïn, le royaume a ensuite littéralement assiégé le petit émirat voisin, en érigeant un blocus aérien et un embargo économique dans le même temps. Ce qui a poussé le Qatar à adopter des mesures en urgence pour ne pas voir son économie s’effondrer.

Une volonté d’autonomie qui ne passe pas

 

Conséquence malheureuse du rejet de Doha par Riyad, plus de 90% des musulmans qataris n’ont pu se rendre au pèlerinage de La Mecque, début septembre, pourtant l’un des cinq piliers de l’islam que les fidèles doivent observer. Une instrumentalisation du fait religieux très mal perçue, non seulement par les habitants de l’émirat, mais également à l’intérieur-même des frontières saoudiennes, où la position jusqu’au-boutiste du régime a été pointée du doigt. Un prédicateur au tropisme démocratique bien connu, Salman Al-Odah, a d’ailleurs été arrêté par les autorités pour avoir appelé à la fin de l’embargo et à un rétablissement des relations avec le Qatar.

L’homme de 61 ans, qui possède 14 millions d’abonnés sur Twitter, connu pour ses prises de position en faveur d’une meilleure prise en compte des libertés publiques, n’en est pas à son coup d’essai. En 2011, il s’était déjà attiré les foudres du régime en prenant fait et cause pour les révolutions arabes et soutenant le soulèvement chiite au Bahreïn. Depuis qu’a éclaté la crise avec le Qatar, il n’était d’ailleurs pas le seul, chez les prédicateurs saoudiens, à afficher son scepticisme quant à la nécessité d’un embargo – la preuve : des dizaines de personnalités ont été arrêtées en même temps que lui.

Que l’Arabie saoudite n’apprécie pas beaucoup les voix discordantes à l’intérieur de ses frontières, la chose est connue. Mais que cette vague de répressions intervienne à un tel moment est révélateur de la position hautement inconfortable dans laquelle se trouve le pays.

Riyad sent bien que le temps où elle pouvait régner sur le Conseil de coopération du Golfe (CCG) – qui comprend également, outre le Qatar, le Bahreïn, les EAU, le Koweït et Oman – sans protestation est révolu. Car il n’est aucune autre interprétation à donner à la crise qui secoue le Golfe aujourd’hui : le Qatar désire s’affranchir du CCG – en toquant par exemple à la porte de l’Iran –, ce que l’Arabie saoudite refuse.

« Ne pas perdre la face »

 

C’est, sans doute, cet « élan possessif » qui explique l’échec de l’entretien téléphonique qu’ont eu l’émir qatari, Tamim Ben Hamad Al-Thani, et le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman, le 8 septembre dernier. L’échange aurait pu marquer un réchauffement bienvenu des relations bilatérales après presque cent jours de crise. Il les a au contraire refroidies. Tandis que Doha a affirmé dans un communiqué être prête à s’assoir à la table des négociations avec Riyad, celle-ci a fait part de son souhait de stopper net toute tentative de rapprochement. La raison : les Qataris auraient « déformé » le contenu ainsi que la raison du coup de fil.

Un aveu, plus ou moins détourné, de la part des Saoudiens, qui ne veulent surtout pas qu’on puisse les imaginer prêt à faire un pas vers le Qatar. C’est pourtant la solution que prônent la quasi-totalité des pays sondés, dont le premier d’entre eux, le Koweït, désigné médiateur officiel de la crise.

Les Etats-Unis, également, à l’initiative de l’appel téléphonique du 8 septembre, sont pour un maintien des pourparlers, quand la France et l’Allemagne ont appelé la semaine dernière les deux parties à s’assoir à la table des négociations, à l’abri de l’agitation médiatique, pour « ne pas perdre la face » selon les mots d’Angela Merkel. Ne pas perdre la face, c’est en effet ce qu’essaie désormais de faire l’Arabie saoudite et cela commence à devenir de plus en plus flagrant…

A. Sarraf

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