Déjà repoussée à la fin de l’année 2017, l’élection présidentielle en République Démocratique du Congo (RDC) devrait finalement avoir lieu — selon le nouveau calendrier électoral — en décembre 2018, et ce alors que le mandat de Joseph Kabila a pris fin en décembre 2016 et que l’opposition ainsi que la majeure partie du peuple congolais réclament son départ… En parallèle de cette annonce, Moïse Katumbi, pressenti pour succéder à Kabila, et injustement contraint à l’exil, a annoncé son retour pour les semaines à venir. Un contexte pour le moins tendu…
Il y a des transitions politiques qui s’effectuent sans haine ni violence. Où le simple jeu de la démocratie suffit à tourner la page. Celle qui approche en RDC n’est pas de celles-ci. Lundi dernier, les habitants de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, frontalière avec le Rwanda, se sont réveillés au son des coups de feu, tirés par des policiers en faction dans certains quartiers du nord de la ville.
Les forces de l’ordre cherchaient à disperser une manifestation pacifique qui se dirigeait vers le centre-ville, organisée à la demande de la coalition d’opposition, un rassemblement de plusieurs partis politiques congolais qui demandent le départ du président de la République, Joseph Kabila, dont le mandat a expiré depuis bientôt un an. Selon les témoins, quatre civils et deux policiers sont morts, dix manifestants ont été blessés et une dizaine interpellés. Les affrontements se sont étirés sur plusieurs heures avant que le calme ne revienne, vers midi.
Respect de la démocratie
Ce n’est pas la première fois que la RDC est confrontée à des heurts entre policiers et manifestants ces derniers temps. En septembre 2016, déjà, l’opposition avait appelé des centaines de personnes à descendre dans les rues de Kinshasa, la capitale congolaise, pour rappeler au chef de l’État que, selon la Constitution, il devait quitter le pouvoir deux mois plus tard. Résultat : quatorze civils et trois policiers tués ; des dizaines de blessés et un président toujours en poste aujourd’hui.
En avril dernier, pour éviter tout dérapage — mais également toute contestation du pouvoir en place —, la police avait interdit les rassemblements prévus, toujours à l’appel de l’opposition, dans l’ensemble du pays. « Tout attroupement de plus de dix personnes sera dispersé […] la marche est interdite [car] son itinéraire comporte les germes de l’insurrection » avait d’ailleurs justifié le porte-parole de la police congolaise.
L’« insurrection » ? Ni plus ni moins que des citoyens qui appellent au respect de la démocratie — alors que jamais la RDC n’a connu de transition pacifique depuis son indépendance en 1960 — et au départ de Joseph Kabila. Qui recule sans cesse la tenue du scrutin présidentiel, qui devait initialement avoir lieu fin 2016 puis courant 2017, avant d’être programmé pour la fin de l’année 2018.
D’après la Commission électorale nationale indépendante (Céni), soupçonnée de forte complaisance à l’égard du chef de l’État, les fonds ne sont pas suffisants pour organiser l’élection, qui doit se tenir en même temps que le renouvellement des parlementaires. Pour faire patienter l’opposition, le pouvoir avait accepté de signer l’« accord de la Saint-Sylvestre », le 31 décembre dernier, qui prévoyait un système de cogestion du pays entre M. Kabila et l’opposition. Las, celle-ci attend toujours que l’accord soit mis en œuvre. Et s’impatiente.
« Le seul homme dont Kabila a peur »
L’un de ses représentants plus particulièrement. Moïse Katumbi, ex-gouverneur de la province du Katanga, extrêmement populaire en RDC malgré un exil forcé — il est victime en juin 2016 d’un procès politique, dans une affaire immobilière traficotée, et contraint de fuir à l’étranger pour éviter la prison.
Depuis plus d’un an, celui qui est pressenti pour remplacer Joseph Kabila à la tête du pays multiplie les sorties médiatiques pour appeler la population à manifester de manière pacifique et critiquer la fin de règne de ce dernier. Comme à Londres, début octobre, où il assistait au forum sur l’Afrique organisé par le Financial Times.
Le candidat de l’opposition y avait déclaré que « chaque jour, chaque minute, chaque seconde que Kabila passe au pouvoir, le Congo perd quelque chose. Son mandat est achevé » selon lui. La raison de son « traitement de faveur » de la part du pouvoir ? « Le seul homme dont Kabila a peur dans le pays, c’est moi » avait-il estimé.
Moïse Katumbi, qui peut compter sur la plateforme d’opposition du Rassemblement — qui compte plusieurs ex-barons du clan Kabila —, en a même profité pour préciser la date de son retour au pays : d’ici le mois de décembre, pour les scrutins présidentiels et législatifs. « Si je gagne les élections, je dois changer ce pays, et inviter tous les investisseurs à venir nous aider à le construire. C’est le secteur privé qui rendra le Congo fort » a-t-il martelé, faisant référence aux nombreux cas de détournement d’argent public de la part de la famille Kabila.
Plusieurs enquêtes internationales, menées par des médias – Le Monde entre autres — ou autres groupes financiers — comme Bloomberg –, ont récemment mis en lumière les manœuvres du chef de l’État, ainsi que celles de plusieurs de ses proches, qui ont brassé depuis une quinzaine d’années des dizaines de millions de dollars. Aucun secteur — ou très peu — n’étant épargné : de l’industrie minière à la construction en passant même par les permis de conduire. Au total, dix membres de la famille de M. Kabila et plus de 80 sociétés sont empêtrés dans des activités douteuses.
Massacre de civils
Pour autant, si Moïse Katumbi accède au pouvoir, il ne souhaite pas poursuivre le président congolais. « Mon ambition, c’est de changer le Congo, ce n’est pas de courir après Kabila » a-t-il rappelé à Londres le mois dernier. Car gagner la présidence de la République ne constituera sans doute pas la tâche la plus difficile pour l’ancien gouverneur du Katanga.
Encore faudra-t-il savoir gagner la paix, après des années de conflits internes, entre opposants et forces de l’ordre, mais également dans la région du Kasaï, où les autorités sont régulièrement accusées de violences et de meurtres à l’encontre des populations de plusieurs ethnies. Le 25 octobre dernier, les Nations unies (ONU) rendaient un rapport dans lequel elles alertaient sur le massacre de plus de soixante civils en avril dernier, perpétré par une milice soutenue par les forces armées du pays.
Pour beaucoup de Congolais, le départ de M. Kabila permettra déjà de tourner une page, avant de penser à plus long terme et panser les plaies. Certaines puissances, comme les États-Unis, partagent d’ailleurs cette vision en appelant des élections le plus rapidement possible et la fin de l’ère Kabila.
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