A la peine sur le plan international, où elle multiplie les erreurs, Riyad assouplit depuis quelque temps sa politique économique et sociale. L’objectif ? Montrer que le pays est parfaitement fréquentable. Décryptage d’une opération de communication à grande échelle.
D’ici quelques jours, Mohamed ben Salman, dit « MBS », devrait succéder à son père, le roi Salman, sur le trône d’Arabie saoudite. Et deviendra, à 32 ans, le dirigeant du plus grand pays d’un Moyen-Orient en pleine crise. Loin d’être une surprise, l’arrivée au pouvoir du « fils préféré » du souverain a eu lieu, dans les faits, depuis quelque temps déjà. En matière de politique intérieure comme à l’international, toutes les mesures notables prises récemment l’ont été par le prince héritier, qui assumait également les portefeuilles de la défense et de l’économie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le bilan n’est pas excellent, sur la scène extérieure notamment.
Droit de conduire
De la crise diplomatique avec le Qatar à la tentative de déstabilisation du Liban, MBS, qui suivait un seul et même objectif — contenir les avancées de l’Iran, sa bête noire, dans la région —, a commis deux erreurs. La première : penser que le petit émirat, qui s’est rapproché de Téhéran ces derniers temps, céderait face à l’embargo mis en place par Riyad. La seconde : surestimer l’emprise de l’Arabie saoudite sur les sunnites libanais, qui ont préféré jouer la carte de l’unité nationale plutôt que la confrontation avec les chiites pro-Iran après la « mystérieuse » démission du Premier ministre Saad Hariri.
Heureusement, le futur monarque pourra s’appuyer sur une communication bien rodée pour laver ces derniers échecs. La concomitance entre, d’un côté, une politique agressive à l’extérieur et une politique très souple à l’intérieur des frontières, n’a rien d’anodin. Depuis quelques mois, Riyad libéralise à tous crins ses secteurs économique et social, ceci dans un unique but : démontrer que, malgré une guerre au Yémen catastrophique en matière de droits humains et une volonté d’écraser les pays qui se rapprocheraient un peu trop de l’Iran, l’Arabie saoudite est tout à fait fréquentable. La preuve : le pays autorise désormais les femmes à conduire.
Depuis un décret signé en septembre dernier, les Saoudiennes, à partir de juin 2018, n’auront en effet plus besoin de leur tuteur légal pour passer le permis et se mettre au volant. Le royaume demeurait l’un des derniers pays à refuser ce droit aux femmes, une bévue sociale et un handicap économique, puisque celles-ci ne pouvaient se rendre au travail par exemple. La mesure, unanimement saluée, est pourtant intervenue en marge d’une purge en Arabie saoudite qui a débuté le 4 novembre dernier et durant laquelle plusieurs centaines d’opposants ont été arrêtés. Officiellement, ces arrestations ont eu lieu dans le cadre de la lutte anti-corruption, mais pour Olivier Da Lage, rédacteur en chef de RFI et auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite, « c’est simple, c’est un renforcement, une concentration du pouvoir du prince hériter qui élimine des rivaux et des adversaires en offrant des signes de modernisation à sa population ».
Contradiction
Par ailleurs, bien qu’autorisées à conduire, les Saoudiennes souffriront encore, dans l’esprit et dans la loi, de la société extrêmement patriarcale de l’Arabie saoudite, où même un robot a désormais plus de droits qu’elles. Sophia, androïde de sexe féminin, a acquis la nationalité saoudienne lors du forum économique Future Investment Initiative, fin octobre dernier. Si elle s’est dite « très honorée et fière de recevoir cette distinction unique », car « c’est historique d’être le premier robot au monde à être reconnu par une attribution de citoyenneté », aucune mention n’a été faite de la condition féminine dans sa bouche de métal. Sur la Toile, en revanche, des dizaines de milliers de personnes ont raillé ou regretté cette initiative maladroite.
Sur le plan économique, alors que MBS souhaite sortir son pays de la dépendance au pétrole et installer une stabilité, les projets s’empilent, tous aussi impressionnants les uns que les autres. Mais sont-ils viables ? Pour beaucoup, Riyad pêche par excès de confiance ; le plan « Vision 2030 », très audacieux — il comporte des privatisations et des chantiers particulièrement importants —, n’est pour l’instant pas près d’être effectif. L’un des principaux projets qui le composent, l’érection d’une ville futuriste deux fois plus grande que l’Ile-de-France sur les bords de la mer Rouge, bat de l’aile. En cause : le manque de financement. Par ailleurs, condition indispensable à la réussite du plan « Vision 2030 », la privatisation du géant pétrolier Saudi Aramco tarde et les experts tablent désormais sur une entrée en bourse en 2019 et non pas au deuxième semestre 2018 comme prévu initialement.
Les investisseurs étrangers, également, craignent les retombées négatives de l’escalade entre Téhéran et Riyad. Escalade bien entretenue — voire initiée — par l’Arabie saoudite, qui n’en serait pas à son premier flagrant délit de contradiction. Prôner l’ouverture à l’intérieur de ses frontières tout en durcissant sa politique internationale ; construire la ville du futur et, en parallèle, détruire — en les bombardant — les villes du Yémen voisin ; octroyer la nationalité à un robot femme, mais considérer les Saoudiennes comme des êtres inférieurs… Arrive un moment où la communication a ses limites.
Par Nasim Amari
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