Les tensions montent entre Abu Dhabi et Mogadiscio. Pour les experts, cela devrait continuer tant que la Somalie refusera de prendre position contre le Qatar.
Loin de s’estomper, la crise du Golfe continue de s’internationaliser. En juin 217, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ont su persuader Bahreïn, l’Égypte, la Mauritanie, les Maldives, les Comores, l’île Maurice, le gouvernement yéménite d’Abdrabbo Mansour Hadi et le Libyen de Tobrouk de rompre leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Mais Riyad et Abu Dhabi ne comptent pas en rester là et sont décidés à punir ceux qui refusent de choisir leur camp.
C’est notamment le cas de la Somalie, pays meurtri par la violence et la pauvreté qui paye son refus de prendre position contre Doha.
Depuis plusieurs semaines, les incidents se multiplient entre ce pays de la corne de l’Afrique et les Émirats arabes unis. La nation arabe avait noué un partenariat stratégique important avec Mogadiscio. Mais elle tente désormais de lui faire payer son refus de rejoindre la coalition anti-Qatar.
Le 8 avril, un avion civil émirati qui transportait 47 militaires a été retenu à l’aéroport de Mogadiscio pendant plusieurs heures. Un départ chargé, puisque les autorités somaliennes ont trouvé à bord pas moins de 9,6 millions de dollars dans différents sacs. Un incident diplomatique révélateur du chantage auquel procède Abou Dhabi. En effet, depuis 2014, les Émirats arabes unis s’étaient engagés dans un programme de formation de l’armée somalienne. Dans le cadre de ce partenariat, des casernes et des centres d’instructions ont été bâtis à Mogadiscio, Bosasso et Kismayo.
« L’incident » diplomatique du 8 avril était un message clair de la part des Émiratis : ne comptez plus sur notre aide tant que vous ne prendrez pas notre parti dans la crise du Golfe. Les Émiratis repartent avec leurs militaires-instructeurs et leurs millions de pétrodollars, mettant ainsi fin au programme de formation de l’armée somalienne et laissant le pays africain face à ses défis sécuritaires.
Un chantage qui n’a pas fonctionné.
Mogadiscio ne regrette rien
« En tant que gouvernement, nous avons la responsabilité de nous occuper de nos troupes, de payer leurs salaires et de ne pas déléguer cette responsabilité », a déclaré le ministre somalien de la Défense, Mohamed Mursal.
Une manière de renvoyer dans les cordes les Émiratis, mais dans les faits, l’armée somalienne reste très fragile et dépendante de l’entraînement fourni par plusieurs pays étrangers, dont les EAU et la Turquie. Abu Dhabi ne peut ignorer ce que l’aide militaire représente pour un pays comme la Somalie, confronté à la violence terroriste du groupe Al-Shabaab, plus meurtrier que Boko Haram.
Les relations entre Abu Dhabi et Mogadiscio ont cependant commencé à se dégrader bien avant le 8 avril. En mars dernier, le délégué somalien à l’ONU, Aboukar Dhair Osman, avait prié la communauté internationale de « prendre des mesures adéquates pour faire cesser les agissements des Émirats arabes unis » à l’égard de son pays. Le représentant somalien protestait ainsi contre la signature, en 2017, d’un accord entre le Dubaï Port World (une compagnie émiratie), le Somaliland (une province autonome autoproclamée dont l’indépendance n’est pas reconnue par la communauté internationale) et l’Éthiopie. Signé pour une durée de trente ans, l’accord prévoit d’importants investissements dans le port de la ville de Berbera et la construction d’une base militaire
Sachant que le Somaliland est une province sécessionniste de la Somalie et que l’Éthiopie est le principal rival régional de Mogadiscio dans la région… La signature de cet accord, quelques semaines après le refus de la Somalie de rejoindre la coalition anti-Qatar, était un affront clair et net.
Une « indécente ingérence contre la souveraineté de la Somalie »
Pour le président somalien, Mohamed Abdullahi Mohamed, cela constitue une « indécente ingérence contre la souveraineté de la Somalie », Mogadiscio menant depuis plusieurs années une lutte intense pour l’intégrité territoriale et l’unité du pays.
Les EAU négocient également l’utilisation du port de Bosasso avec les chefs de la région de Puntland, qui se sont déclarés autonomes en 1998. Là aussi, Abu Dhabi ne peut ignorer ce que cela représente pour les autorités mogadisciennes, qui ne supportent pas que les Émirats traitent directement avec les États indépendants autoproclamés.
Pour les experts, l’attitude d’Abu Dhabi ne doit rien au hasard. D’après le centre de recherche canadien Global Research, les EAU « tentent de déstabiliser la Somalie en représailles du refus de Mogadiscio de couper les liens avec le Qatar, et de son accord avec Ankara pour permettre l’installation d’une base militaire turque sur son territoire ».
Les Émiratis ne connaissent que trop bien les faiblesses du pays africain, et s’ils appuient là où cela fait le plus mal c’est pour mieux faire payer à la Somalie sa neutralité dans la crise du Golfe. Seulement, après vingt années de guerre civile, le développement du terrorisme international et l’effondrement de l’économie, la Somalie n’a pas besoin de cela.
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