C’était il y a un peu plus de 11 ans. Après avoir menti sur son niveau d’endettement, la banque d’affaires américaine Lehman Brothers mettait la clé sous la porte et tout le monde financier – américain, puis rapidement mondial – se retrouvait sens dessus-dessous. C’était la crise des subprimes. Une fois l’orage passé, un ensemble de mesures ont été prises et ont mené à des progrès en matière de régulation : les banques ont désormais l’obligation de disposer de plus de fonds propres et sont soumises à plus de « stress tests ».
La crise a indéniablement entraîné une prise de conscience politique et les banques, accusées d’être fragiles et responsables de la crise, se sont renforcées. Néanmoins, peut-on parler de changements structurels dans la régulation bancaire ? Rien n’est moins sûr. Comme s’il fallait se confronter à une nouvelle crise pour saisir (enfin) l’occasion de transformer le système en profondeur.
« Quand il y a trop de nuages »
En dépit de la mise en place de ces garde-fous, à mesure que la croissance mondiale ralentit, de nombreux analystes commencent à mettre en garde contre une nouvelle crise en 2019. « Les quelques réformes qui ont été adoptées, quand les souvenirs de la catastrophe étaient encore vifs et la volonté politique forte, ne suffiront sans doute pas », s’alarmait ainsi un rapport de l’organisation Finance Watch datant de septembre dernier.
D’après Standard & Poor l’endettement des entreprises américaines, qui ont particulièrement tiré avantage des taux d’emprunts historiquement bas de l’époque, est en effet préoccupant. Une inquiétude également relayée par la banque d’Angleterre et l’ancienne patronne de la FED américaine, Janet Yellen. « Nous sommes revenus à des niveaux de spéculations que l’on peut qualifier sans hésiter de déraisonnables. De ce point de vue, les fondamentaux d’une nouvelle crise financière sont réunis » résume René Ricol.
Cet avis est partagé par la directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde : « Le resserrement des taux d’emprunt intervient au moment où les Etats, les entreprises et les ménages ont accumulé de très lourdes dettes », a mis en garde la directrice de l’institution financière lors du World government summit à Dubaï. « Quand il y a trop de nuages, il faut un éclair pour déclencher la tempête ». Reste à savoir où et quand – et surtout si – cet éclair aura lieu.
La fin de la « mondialisation heureuse »
Dans son rapport annuel sur les perspectives économiques, la Banque Mondiale prévoit une croissance à 2,9% en 2019 – contre 3% en 2018. Dans le même temps, les risques s’accumulent : une dette mondiale au plus haut (225% du PIB mondial), l’escalade des tensions commerciales entre la Chine et le Etats-Unis – mais dont l’Europe n’est pas exempte – qui créé un risque croissant de guerre économique, la dette chinoise qui se creuse, le risque accru d’un no deal pour le Brexit… autant de coups portés à la « mondialisation heureuse » prophétisée par Alain Minc.
De plus, des risques périphériques se développement sous l’effet du changement climatique. Les températures exceptionnellement élevées – ou basses – commencent en effet à causer des dégâts économiques importants. Nous pouvons à cet égard citer l’exemple du fournisseur d’électricité californien PG&E dont le réseau, sous l’effet cumulé du réchauffement climatique et de défaillances de transmission, a provoqué une vague d’incendies en Californie en 2017. Cet épisode s’est soldé par la faillite surprise d’un des plus grands fournisseurs d’énergie américain.
D’autres grandes entreprises, mais aussi des Etats, pourraient ainsi être victimes du changement climatique. Et ce d’autant plus que le nationalisme ne favorise pas les grands enjeux internationaux. La montée en puissance du populisme et du protectionnisme a pour conséquence d’entraver la coopération internationale, pourtant cruciale en cas de crise. A cela il faut ajouter la volatilité des Bourses mondiales – encore renforcée par le développement du trading algorithmique.
Dans ce contexte, le moindre feu de paille peut provoquer un effet domino et avoir des conséquences désastreuses. Aussi, après des années de croissance ininterrompue, Wall Street est sur le qui-vive.
Un système financier pourtant robuste
« Une des conséquences de la crise financière est que l’ordre économique mondial s’est fragmenté pour devenir multipolaire », note Ilene Grabel, professeure d’économie émérite à l’Université de Denver. D’après elle, cette mutation a donné naissance à un système financier moins prévisible mais plus stable. « Dans les années 1980, lorsque toutes les institutions internationales étaient dominées directement ou indirectement par Washington, la politique isolationniste d’un gouvernement Trump aurait causé de plus graves dommages qu’aujourd’hui. »
Aussi, malgré des mouvements tectoniques importants, et un manque de visibilité caractéristique, l’économie mondiale pourrait paradoxalement être plus à même de résister à un choc. « Pour l’instant, effectivement, il n’y a pas de phénomène déclencheur, donc pas de ‘crise’, au sens où on l’entend habituellement. Et il est impossible de prédire si et quand il se produira », conclut René Ricol, dans la Revue des transitions.
Sans certitude, il semble donc falloir étudier de près ces forces « psycho sociologiques », c’est-à-dire les comportements réels des citoyens, qui influent sur l’économie, comme l’a justement rappelé Richard Thaler, théoricien de la finance comportementale et Prix Nobel d’économie 2017.
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