Aux quatre coins du monde, le manque d’eau affecte de plus en plus les modes de vie et de production et crée des tensions. C’est le cas notamment en Australie où, depuis 4 mois, sévissent des incendies profitant de la sécheresse ambiante du pays pour se propager. Outre la catastrophe écologique et sanitaire que représentent ces incendies, la population se retrouve dans une situation de stress hydrique grave qui a entraîné le vol, en décembre 2019, d’un camion-citerne contenant 300 000 litres d’eau. Une situation de pénurie dont les solutions peuvent être globales et locales, à condition que les responsables politiques s’en emparent.
Les États-Unis, victime historique du stress hydrique
Ce n’est pas un secret, l’eau est un des enjeux majeurs du 21ème siècle. De nombreuses régions à travers le monde font déjà les frais d’un manque d’eau chronique qui, compte tenu des données démographiques, industrielles et climatiques, ne peut aller qu’en s’aggravant si aucun changement majeur n’est opéré.
Aux États-Unis par exemple, le stress hydrique — jusqu’à présent caractéristique de l’Ouest américain aride — est en train de se propager vers l’est du pays, une région généralement associée aux inondations et aux ouragans. À tel point qu’en 2013, le conflit ancien entre la Floride et la Géorgie au sujet du bassin de la rivière Apalachicola-Chattahoochee-Flint a été porté devant la Cour suprême. Même la première puissance du monde n’est pas épargnée par un manque d’eau qui devient source de tensions plus ou moins violente.
Aux États-Unis, le boom pétrolier et gazier du Nouveau-Mexique menace sérieusement l’approvisionnement en eau douce déjà limité de cet État désertique. En effet, un seul puits de pétrole peut consommer jusqu’à 10 millions de litres d’eau et plus de 95 % des concessions pétrolières et gazières sont situées dans des zones où le stress hydrique est « extrêmement élevé ». Le Nouveau-Mexique est confronté à une situation équivalente à celle du 10ème pays le plus stressé par l’eau dans le monde, à savoir les Émirats arabes unis. Une situation qui a amené les sénateurs de cet État à déposer fin novembre une loi sur la sécurité de l’eau dans l’Ouest.
Une problématique pétrolière qui touche également le Kazakhstan, où les habitants d’un village de l’ouest du pays empêchent la prospection d’or noir à proximité de la seule source d’eau potable du secteur. Comme la compagnie qui avait commencé l’exploration dans cette oasis boisée ne disposait pas d’une autorisation portant sur ce lieu précis, elle a reçu l’ordre de mettre un terme au projet et de procéder à l’assainissement de la parcelle.
Maghreb et Asie centrale en danger
De l’autre côté de l’Atlantique, la Tunisie est le pays méditerranéen le plus impacté par le changement climatique, auquel s’ajoute une pollution industrielle, minière et agricole qui contamine les faibles ressources hydriques de ce pays majoritairement désertique. Selon l’ONU, la Tunisie est entrée dans la zone de « stress hydrique », soit une disponibilité annuelle de moins de 500 m3 d’eau par habitant. Un phénomène aggravé par le tourisme de masse et qui amène les agriculteurs à utiliser toujours plus d’engrais et de pesticides.
L’Asie centrale est quant à elle tellement touchée par ce phénomène qu’elle pourrait subir de terribles sécheresses dans les années qui viennent, risquant d’entraîner des « guerres de l’eau ». Une situation qui s’explique par la géographie de la région : le Kirghizstan et le Tadjikistan situés en amont des deux plus grands fleuves de la région (le Syr-Daria et l’Amour-Daria) sont donc riches en eau, tandis que le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan sont situés en aval et sont donc pauvres en eau… mais riches en hydrocarbures. L’eau est donc un moyen de pression et de chantage, et l’ambition tadjike de construire le plus haut barrage hydroélectrique du monde à Rogun devrait aggraver la situation. Le Turkménistan détient par ailleurs le record mondial de consommation d’eau par habitant (5 500 mètres cubes, soit 4 fois plus qu’aux États-Unis). Une consommation excessive d’eau qui a déjà asséché la mer d’Aral au profit de la culture du coton depuis l’époque soviétique, et entraîne une modification du climat (étés de plus en plus secs et chauds, et hivers plus froids et plus longs).
Toujours en Asie centrale, le président turkmène a annoncé le mois dernier vouloir augmenter la production de coton au détriment de celle du blé, cela alors que le pays est obligé d’importer des céréales des pays voisins, notamment du Kazakhstan. Un coton pourtant boycotté par la plupart des marques de vêtements occidentales, car très gourmand en eau et ramassé grâce au recours au travail forcé. Ce projet a entraîné la prolongation de 200 kilomètres du canal de Karakoum, qui utilise à lui seul 25 % des eaux de l’Amou-Daria, tout en en perdant près de 80 % par évaporation et infiltration, polluant de ce fait les nappes phréatiques qui se salinisent. La leçon de la disparition de la mer d’Aral ne semble donc pas avoir été retenue…
Un fléau qui n’est pas une fatalité
La situation paraît désespérée, mais de nombreux exemples de volontarisme politique à travers le monde montrent que le manque d’eau peut être combattu.
Au Kazakhstan, la Présidente du Sénat du Kazakhstan, Dariga Nazarbaïeva, a proposé au gouvernement d’élaborer un programme d’État sur la préservation des ressources en eau. Un programme qui devrait se baser sur les recommandations du Sénat et pour lequel Dariga Nazarbaïeva a mis sur pied des tables rondes réunissant les représentants du secteur le plus affecté par le stress hydrique, à savoir le secteur agricole. Des éleveurs, des producteurs de viandes et des membres des industries avicoles ont ainsi été entendus, et la Présidente du Sénat a chargé le Comité des questions agraires, de la gestion des ressources naturelles et du développement des zones rurales de résoudre les problèmes exposés par les intervenants.
Parallèlement, le 27 novembre dernier, des députés kazakhs ont alerté sur la « menace pour le pays » que sont les prélèvements d’eau toujours plus importants de la Chine dans les fleuves Ili et Irtych en raison de la croissance démographique et économique de la région du Xinjiang. Des prélèvements qui menacent le niveau d’eau du lac Balkhach ainsi les grandes installations industrielles kazakhes. Un projet d’accord sur l’utilisation de ces eaux entre la Chine et le Kazakhstan est en cours de négociation, dans la lignée de ceux qui avaient été signés avec la Russie en 2016 pour la préservation de l’écosystème du fleuve Oural. Un traité sera également nécessaire avec l’Ouzbékistan afin de poursuivre le projet afin de faire renaître le nord de ce qu’il reste de la mer d’Aral, en modifiant le delta du Syr-Daria.
Cet activisme diplomatique est essentiel pour un pays dont 44 % du débit des fleuves sont partagés avec ses voisins et qui dépend à 42 % des importations pour son approvisionnement en eau. Une situation qui amène les autorités kazakhes à vouloir s’inspirer du modèle européen, selon lequel le principe fondamental est d’éviter que les États voisins ne subissent des dommages liés à l’utilisation conjointe de l’eau — l’exemple le plus inspirant étant le partage des eaux du Danube.
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