Suite à la conférence de Berlin, qui s’est tenue le 19 janvier dernier entre onze États concernés par la guerre en Libye, les réactions oscillaient entre optimisme prudent et volontarisme inquiet. Le travail avait été mené sur trois points principaux : le respect de l’embargo sur les armes, la mise en place d’un cessez-le-feu et la façon de restaurer à terme les institutions libyennes. Toutefois, peu de temps après cette initiative allemande, qui visait aussi à ressouder les points de vue européens, le terrain a rappelé que la « solution » militaire semblait encore privilégiée par les deux camps.
« Belles déclarations d’intention », « coup d’épée dans l’eau » et autres réactions peu amènes ont suivi la tenue de ce sommet de Berlin, contrastant avec « le petit pas en avant » évoqué par la chancelière allemande Merkel et les déclarations plutôt optimistes du ministre français des Affaires étrangères Le Drian. Un esprit positif nécessaire pour avancer et établir une « feuille de route » vers la pacification d’un conflit en voie d’expansion, mais que vient contredire sur le terrain la poursuite de l’escalade. En effet, moins d’une semaine après la réunion de Berlin, la Mission des Nations Unies en Libye (Manul) dénonçait des « des violations flagrantes et persistantes de l’embargo sur les armes », avant que nous apprenions dimanche dernier la reprise de l’offensive de l’intraitable maréchal Haftar, sur la route menant à la ville portuaire de Misrata.
L’heureuse initiative allemande est venue secouer une diplomatie européenne décidément en plein marasme, mais les Européens sont déjà appelés à faire mieux et plus fort… s’ils ont encore une influence déterminante. Car ces échanges policés à Berlin ne représentent qu’une étape sur la voie minée de la paix en Libye, comme sur celle de l’élaboration d’une diplomatie européenne unie. « Quand ils ont commenté le sommet de Berlin, les Libyens ont dit que finalement ce n’est pas pour réconcilier les Libyens, mais pour que les Européens essaient de se mettre d’accord entre eux. C’était un peu ironique mais pas tout à fait faux », a expliqué sur France Inter Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Les 27 auront une nouvelle occasion lors de la prochaine réunion des ministres européens des affaires étrangères prévue pour le 17 février. Cependant, pour envisager un processus de sortie de crise qui apparaît chaque semaine plus complexe, encore faut-il que les belligérants en aient la volonté, ce que le terrain dément obstinément.
Russie et Turquie profitent du vide diplomatique
Nombre de spécialistes s’interrogent sur la capacité de l’Union européenne à favoriser un processus de paix, tandis qu’ils soulignent le rôle de premier plan joué par la Russie du Proche Orient à l’Afrique. Le vide diplomatique laissé par l’UE et surtout les États-Unis favorise les initiatives russes, qui captent de plus en plus la lumière. La Russie apparaît comme un acteur incontournable et très actif sur la scène internationale, « performant » même selon certains analystes, ce qui ne manque pas d’inquiéter de l’autre côté de l’Atlantique (écouter les Entretiens géopolitiques de l’IRIS, avec Pascal Boniface).
La Turquie entretient de son côté un jeu déroutant, entre menaces d’intervention afin de défendre le gouvernement de Tripoli – reconnu par la communauté internationale – et de récentes déclarations apaisantes. Il n’y a pas de solution militaire au conflit a déclaré dimanche dernier le chef d’État turc Erdogan à Alger, lors d’un sommet des pays frontaliers de la Libye. Cela a peut-être rassuré l’Algérie, qui partage 1000 km de frontière avec la Libye, et dont la politique extérieure défend le principe de non-ingérence. Poursuivant les efforts déployés à Berlin, Alger affiche sa volonté de jouer un rôle de médiateur dans la crise régionale. « Nous sommes en pourparlers intenses avec les pays de la région et avec les acteurs internationaux pour garantir le cessez-le-feu et permettre le retour du dialogue politique en Libye » a déclaré le président algérien Tebboune. Une initiative saluée par le chef de la diplomatie française. Des paroles de paix déjà entendues une semaine plus tôt, en réponse à des actes de guerre répétés.
Dans ce contexte il est difficile d’imaginer comment les belligérants accepteront de se retrouver prochainement autour de la table des négociations. De même qu’il est légitime de se demander comment pourra avancer le « comité militaire mixte » récemment formé, aux représentants nommés par les deux camps, et dont une première réunion devrait en théorie se tenir prochainement à Genève. Avanceront-ils au rythme étourdissant des tambours de guerre, à moins qu’ils ne choisissent la douce mélodie du pipeau ? Une chose est certaine, les motifs idéologiques et surtout économiques de ce conflit ne disparaîtront pas, quelle que soit la partition jouée.
Gaëtan Mortier
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