Tandis que les esprits continuent de s’échauffer en Syrie avec la montée des tensions entre la Turquie et les forces syriennes d’Assad, les combats et l’hiver frappent durement des centaines de milliers de civils qui fuient Idlib, dernier bastion rebelle et djihadiste. Le président turc Erdogan souhaite à tout prix entraver l’avancée des troupes de Damas appuyées par la Russie, un partenaire pourtant essentiel à la Turquie en dehors de l’épineux dossier syrien. A Moscou, les diplomates turcs et russes travaillent actuellement à un compromis.
Assiste-on autour d’Idlib à une « escalade maîtrisée » entre la Turquie et le régime de Damas soutenu par les Russes ? Si pour l’instant l’escalade est certaine, la maîtrise apparaît moins évidente, surtout d’après les déclarations belliqueuses du président turc. L’esprit chauffé par la mort de soldats turcs dans la région d’Idlib, Erdogan a clairement menacé les troupes syriennes qui auraient essuyé des pertes bien plus élevées face aux troupes turques.
Idlib, dernier bastion rebelle et djihadiste, est au cœur d’une « zone de sécurité » négociée l’année dernière par les Turcs à Sotchi (Russie) pour se protéger des « terroristes » kurdes. Lâchés par l’Occident suite au retrait américain, les Kurdes se sont rapprochés du régime syrien, intensifiant l’hostilité d’Erdogan envers Assad. Malgré les menaces pressantes d’Erdogan, Assad a clairement répondu cette semaine que l’offensive se poursuivrait.
Les accords de Sotchi signés entre Moscou et Ankara avaient décidé d’une désescalade dans la région d’Idlib, tandis que la Turquie s’engageait à désarmer les djihadistes à l’aide de la création de douze postes avancés. Un objectif très difficile face aux 30 à 50.000 hommes d’Hayat Tahrir al–Cham, milice héritière d’al-Qaïda. L’impuissance turque en la matière a poussé la Russie à reprendre des bombardements sur Idlib, en soutien à l’offensive du régime syrien, sans se soucier du sort de trois millions de civils pris au piège dans la région. L’aggravation de la situation humanitaire fait craindre à Erdogan un nouvel afflux de réfugiés à sa frontière, alors que la Turquie en a déjà accueilli plus de 3,5 millions.
Russie et Turquie, bons partenaires au-delà du désaccord syrien
La montée en tension d’Erdogan a même concerné la Russie, accusée de prendre part au massacre de civils et de participer à la frustration d’un objectif fondamental pour Erdogan. Il s’agit là d’un point noir dans les relations pourtant bonnes qu’entretiennent Russie et Turquie. « Alors que les canaux de communication semblent quasiment rompus, nombre d’observateurs voient là le jeu habituel – montée des tensions plus ou moins délibérées, puis nouveau compromis – entre ces deux partenaires à la fois malcommodes et indispensables » écrivait la semaine dernière le correspondant du Figaro à Moscou.
Dans sa vidéo d’analyse « Vers un affrontement entre entre la Turquie et la Russie à Idlib ? », le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface, insiste sur les nombreux aspects d’un partenariat solide entre les deux pays, et dit ne pas croire à la perspective d’un affrontement. Il souligne que la Russie a vendu à la Turquie son système de défense antiaérienne S-400, « une première percée de ventes d’armes russes à un pays de l’OTAN ». Le géopolitologue souligne également l’inauguration en début d’année du Turkish Stream, un gazoduc entre la Russie et la partie occidentale de la Turquie afin d’alimenter l’Europe en gaz russe. Un énorme enjeu économique qui serait aussi une garantie de stabilité et qui s’ajoute aux 25 milliards de dollars d’échanges commerciaux entre les deux pays. Tout ceci fait dire à Pascal Boniface que « les Russes et les Turcs savent jusqu’où il faut aller et à partir de quand il faut s’arrêter dans leur confrontation, et les Syriens n’ont pas réellement une liberté d’agir par rapport à leur protecteur russe ». Russie et Turquie n’ont aucun intérêt à un affrontement direct, et les limites ont « pour le moment [été] respectées ».
Poutine devra-t-il trancher ?
La stratégie d’Erdogan est difficile à suivre et doit agacer Poutine, mais la diplomatie entre les deux partenaires s’efforce de trouver un nouveau compromis. Une délégation de diplomates turcs a rejoint Moscou en début de semaine. Selon certains analystes la relation entre la Russie et la Turquie est plus importante aux yeux de Poutine que la reprise totale de la région d’Idlib par le régime syrien. Poutine devra-t-il trancher et décidera-t-il de limiter l’offensive de son protégé Assad ?
De son côté le président américain Trump a exhorté dimanche la Russie à cesser de soutenir le régime syrien. Les autorités turques ont des contacts réguliers et positifs avec l’administration américaine qui a exprimé son souhait « d’assister à la fin du soutien de la Russie aux atrocités du régime d’Assad ». Mardi le porte-parole du Kremlin répondait que « les forces armées russes, les conseillers russes continuent de soutenir les forces armées syriennes dans leur lutte contre les terroristes. Nous continuons à déplorer l’intensification des activités des terroristes à Idlib. »
Alors que chacun veut anéantir « ses » terroristes, des populations civiles prises entre des feux multiples paient eux aussi le prix fort. Selon un nouveau bilan de l’ONU près de 900.000 personnes ont déplacées depuis décembre. L’hiver et les actuelles chutes de neige compliquent leur survie, se chauffer est devenu très difficile dans un contexte de pénurie toujours plus aiguë. La Haut-Commissaire de l’ONU Michelle Bachelet a appelé mardi à « autoriser les couloirs humanitaires » et a réitéré son appel à un cessez-le-feu. Une voix fluette qui a bien du mal à porter.
Gaëtan Mortier
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