Irritée par l’échec de négociations avec la Russie pour stabiliser les cours du pétrole, l’Arabie saoudite a dégainé une mesure inattendue : l’augmentation de sa production de pétrole, entraînant une baisse abrupte des prix. Une décision choc telle des représailles qui a été réaffirmée ce mercredi, et qui change la donne pour les pays producteurs d’or noir.
Il a suffi d’une réunion et d’un désaccord stratégique entre le royaume saoudien et la Russie pour provoquer un « krach » pétrolier qui a fait passer en un weekend le prix du baril de pétrole brut de 45$ à environ 30$, une première en trente ans. Les deux puissances pétrolières et leurs alliés respectifs s’entendaient pourtant depuis trois ans afin de favoriser un équilibre de la production et des prix sur le marché pétrolier.
Mardi, au lendemain de la dégringolade, les marchés corrigeaient quelque peu les prix en un « contre-mouvement », avec une hausse du baril comprise entre 9 et 10 %. Toutefois, aujourd’hui mercredi, les pays producteurs de pétrole peuvent toujours s’inquiéter car la compagnie nationale saoudienne Saudi Aramco a annoncé une hausse encore plus importante de sa production à partir du mois d’avril. Le but ? Gagner des parts de marché et punir d’abord la Russie.
Le revirement saoudien
En pleine crise sanitaire internationale, l’Arabie saoudite avait invité vendredi dernier au siège de l’OPEP (à Vienne) ses treize membres ainsi que leurs partenaires sur le marché du pétrole, la Russie et ses dix pays alliés tels l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. Ensemble ces pays forment ce que l’on appelle l’OPEP +, un groupe élargi qui se réunit et se coordonne depuis 2016.
La volonté saoudienne était initialement de baisser la production sur un marché où l’offre est excédentaire, et ainsi de faire remonter le prix du baril de pétrole. Un « entente pétrolière » qui avait été confirmée en juillet dernier par la signature d’une charte de coopération, prolongeant un accord qui allait expirer à la fin du mois de mars. La résistance russe à la stratégie de l’OPEP a favorisé l’impulsivité saoudienne qui a finalement fait voler en éclats la coopération… et fait prendre au pays arabe une direction totalement opposée.
Les pays producteurs de pétrole souhaitaient en effet corriger un cours de l’or noir à la baisse du fait du ralentissement économique chinois, préalable à la crise du Covid-19 qui désormais paralyse le pays. Pour la première fois depuis 2009 la demande de pétrole a chuté, tandis que les prix avaient déjà baissé de 70 dollars début janvier à 50 dollars début mars. La Chine est en effet le principal moteur de la demande en pétrole, avec 14 % de la consommation mondiale. En 2019, « l’usine du monde » désormais remise en cause était responsable de 80 % de l’augmentation de la demande de brut.
Une bataille économique et géopolitique
Derrière cette guerre des prix se dessine une bataille à la fois économique et géopolitique entre les trois plus gros producteurs mondiaux que sont l’Arabie saoudite, la Russie et les États-Unis. L’Arabie saoudite pompe actuellement 9,8 millions de barils par jour et a annoncé vouloir en produire 13 millions à partir du mois prochain. Le premier exportateur de pétrole au monde bridait sa production pour maintenir les prix, désormais il les casse afin de gagner des parts de marché, notamment sur la Russie.
La Russie est quant à elle le deuxième producteur mondial de pétrole brut et souhaitait seulement prolonger l’accord avec les pays de l’OPEP. Pour les compagnies russes, toute réduction du nombre de baril extrait implique une baisse des rentrées financières et a pour effet néfaste de valoriser l’offre américaine de pétrole de schiste, aux coûts d’extraction plutôt élevés. Cité dans un article du Figaro le 10 mars (« L’Arabie saoudite déclenche un krach pétrolier et boursier »), l’analyste Antoine Rostand de la société Kayrros analyse « une division de façade » et explique : « C’est dans leur intérêt à tous les deux d’écraser les prix afin de réduire la rentabilité des concurrents dans des nouvelles capacités de production, et reprendre ainsi des parts de marché ».
Le pétrole de schiste américain perd sa rentabilité
Si cette nouvelle donne devait se prolonger, les principaux pays extracteurs d’or noir peuvent s’inquiéter. Les premiers concernés sont les producteurs de pétrole de schiste américains, dont la part dans la production mondiale est passée de 9 % en 2008 à 17 % en 2019. Non seulement leur coût de production dépasse les 40 dollars, mais une myriade de petits producteurs se sont endettés pour se lancer, et risquent en conséquence la faillite.
L’Arabie saoudite dispose de gigantesques réserves financières pour assumer un temps une stratégie agressive sur les prix, tandis que la Russie a une économie plus diversifiée que d’autres pays très dépendants du pétrole. On pense au Vénézuela ou encore à l’Irak qui a besoin de fonds pour sa reconstruction. L’impact serait moins fort pour l’Iran car le pays est déjà affecté par les sanctions américaines.
Si les analystes comme l’Agence internationale de l’Énergie prévoient une offre excédentaire et des prix au plus bas pour les prochains mois, l’alliance de circonstance OPEP-Russie n’est pas nécessairement morte. Mardi, le ministre russe de l’Énergie Alexandre Novak affirmait « ne pas fermer la porte » à une entente renouvelée, et que l’actuel désaccord « ne signifie pas qu’à l’avenir nous ne pourrons plus coopérer ». En attendant, les pays importateurs tout comme les détracteurs du pétrole de schiste peuvent se réjouir de ce coup de sang et de la surabondance à venir de pétrole saoudien.
Gaëtan Mortier
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