Avec la mission réussie de la fusée légère Vega le 2 septembre, l’Europe s’installe en concurrent des Américains sur le marché émergent des nano-satellites. Arianespace comme l’Agence spatiale européenne savourent un succès qui fait suite à de multiples reports, auxquels s’ajoute celui du vol inaugural du lanceur lourd Ariane 6, désormais prévu pour 2021. Une réponse à SpaceX et la constellation d’entreprises du « new space » qui, débordant d’ambition et à force d’innovations, brisent les coûts de la conquête de la « nouvelle frontière ». Ailleurs, la Russie tente de rester dans le jeu, tandis que la Chine affiche des ambitions de leadership spatial mondial d’ici à 2045. Certains pays arabes se lancent également dans la course et investissent massivement, leur intérêt collectif s’illustrant par la création en 2019 du Groupe spatial panarabe, soutenu par onze États.
Après avoir souffert d’une défaillance durant l’été 2019 et de multiples reports en raison de la pandémie de Covid ou de la météo, la fusée Vega a enfin pu décoller de Kourou et donner du baume au cœur à la poursuite des ambitions spatiales européennes. Un succès international dans la conception comme dans la commercialisation, puisque la fusée Vega a placé en orbite pas moins de 53 satellites provenant de 13 pays différents. Le marché en plein essor des nano-satellites implique des lancements partagés de « grappes » de satellites très légers, de 300 grammes à 11 kilos pour cette mission de Vega.
« Il est très important d’être présent sur ce marché innovant, qui se développe très rapidement et démocratise l’accès à l’espace avec des projets beaucoup moins coûteux » déclarait cet été le PDG d’Arianespace, Stéphane Israël. Un enjeu crucial qui réclame des efforts financiers malgré la différence abyssale de budget entre l’Agence spatiale européenne (ESA) et la NASA, de l’ordre de 1 à 5, voire même de 1 à 10 si l’on inclut dans le calcul des investissements connexes du gouvernement américain.
L’Europe spatiale a de ce fait souhaité faire preuve d’une volonté forte en novembre 2019 lors d’une réunion des 22 États. membres de l’ESA. Avec la définition des orientations stratégiques, il a été décidé d’allouer 14,4 milliards d’euros pour les cinq années suivantes. En tête des contributeurs se trouve l’Allemagne (3,3 milliards d’euros), la France (2,7 milliards) et l’Italie (2,3 milliards). En parallèle, ces trois pays affirment désormais la nécessité de privilégier des lanceurs européens pour mettre en orbite des satellites européens, afin de résister à une concurrence vivace qui ne manque pas de soutiens étatiques.
L’essor du « new space » américain
La conquête de l’espace ne fait que commencer et le marché se trouve en plein essor, dopée par une demande en pleine explosion à mesure que la concurrence s’étoffe. Selon des données de l’ESA, la planète verra la mise en orbite de 800 satellites par an à partir de 2021-2022, alors que leur nombre n’était que de 50 en 2011. Quant au chiffre d’affaire du marché, il devrait passer de 298 milliards de dollars en 2018 à 485 milliards en 2028 selon le bureau d’études Euroconsult.
Aux États-Unis, leader encore incontesté dans le spatial civil comme militaire (dont il n’est pas question ici), l’engouement pour le « new space » est incarné par SpaceX, entreprise d’Elon Musk. Nouvelle dynamique, nouvelles technologies, nouvel essor, le « NewSpace » est défini dans un article des Échos comme un « mot fourre-tout qui désigne les nouveaux acteurs privés de l’industrie spatiale, les ruptures technologiques et la chute vertigineuse du coût d’accès aux orbites extra-atmosphériques » (« 2010-2019 : les dix ans qui ont transformé l’espace en Far West »). Un écosystème de centaines de start-up de par le monde, desquelles résultent environ 150 projets de petites fusées, selon une étude du Congrès mondial d’astronautique. « Plus d’une soixantaine bénéficient d’un début de financement, dont une trentaine en Amérique du Nord, une vingtaine en Europe et une dizaine en Chine », lit-on dans le même article.
La force principale de SpaceX et de sa fusée Falcon 9 est d’avoir cassé les coûts d’accès à l’espace à force d’innovations. De même le vol habité du véhicule spatial Crew Dragon – de la même entreprise, sous l’égide de la NASA – fut en mai 2020 une première pour un acteur privé. Son succès a libéré les États-Unis d’une dépendance vis à vis des Soyouz russes pour envoyer des astronautes sur la station spatiale internationale, par exemple. Les Américains avaient en effet mis hors service en 2011 leur programme de navette spatiale, pour des raisons de coûts comme de sécurité (explosion en vol de la navette Columbia en 2003). Le partenariat public-privé SpaceX/NASA est venu combler cette grave lacune et redynamise l’ambition de la conquête de la « frontière du haut ». Avec en ligne de mire la colonisation de la planète Mars dans les années 2030.
Lune, Mars, tourisme spatial : la Chine se projette en leader pour 2045
Rivale historique, bien que partenaire sur la Station spatiale internationale (ISS), la Russie accuse aujourd’hui un retard technologique qu’elle ne désespère pas de rattraper. Ne pouvant rivaliser pour l’objectif martien, l’agence spatiale russe Roskosmos vise plutôt Vénus vers laquelle elle compte envoyer un engin spatial réutilisable. Elle prévoit en outre des aménagements sur l’ISS ainsi qu’un débarquement habité sur la Lune vers 2030. De nouveaux lanceurs sont en développement, notamment Soyouz 5 qui vise à concurrencer SpaceX. D’autres projets sont en cours, telles des « constellations de satellites » développées aussi par les Américains. Toutefois le budget spatial russe a connu des baisses risquant de retarder les échéances et d’affaiblir les ambitions, tout en subissant des sanctions internationales pénalisantes suite à son annexion de la Crimée en 2014.
En Chine la trajectoire est tendue vers un dépassement en tous points des États-Unis avant le milieu du siècle. Avec un budget qui dépasse celui de l’Europe, la Chine est déjà une grande puissance spatiale et vise à devenir leader en 2045. Un secteur qui s’est développé à grande vitesse avec l’aide de l’État, et sous la protection de celui-ci car sans mise en concurrence du lancement de ses satellites. Déjà en janvier 2019 la Chine s’affirmait comme concurrent sérieux en posant le module d’exploration Chang’e 4 sur la face cachée de la Lune, une première. Elle ambitionne de construire une base lunaire d’ici à 2030, habitée dans un premier temps par des robots, puis rapidement par des humains. Pékin maîtrise les vols habités, développe pour très bientôt une station spatiale 100 % fabriquée en Chine et se projette bien-sûr vers Mars qu’un rover explorera. Sans oublier le tourisme spatial avec entre autres la start-up iSpace qui, créée en 2016, est devenue l’année dernière la première compagnie privée chinoise à placer des satellites en orbite.
Dans un contexte stimulant, d’autres pays se lancent collectivement dans l’aventure : c’est ainsi le cas d’États arabes qui depuis peu investissent massivement. On trouve ainsi les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, qui souhaitent diversifier leur économie basée sur une rente pétrolière, mais aussi le Maroc, l’Égypte ou la Tunisie. Aujourd’hui onze pays arabes forment le Groupe spatial panarabe. Les ambitions les plus avancées se dessinent aux Émirats, qui ont réussi cet été à lancer leur sonde Hope qui devrait se mettre en orbite martienne début 2021 afin d’en étudier l’atmosphère. Pour les différents acteurs internationaux, au-delà des enjeux scientifiques partagés et des ambitions à réglementer, l’accès à l’espace est aussi une question de souveraineté.
Gaëtan Mortier
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