Fermeture des frontières avec plusieurs de ses voisins, réforme constitutionnelle contestée, mobilisation sur fond de tensions ethniques, à quelques semaines de l’élection présidentielle, le gouvernement d’Alpha Condé semble dos au mur face à des pressions internes et internationales grandissantes, confirmant une dérive autoritaire du régime guinéen et laissant craindre une montée des violences à l’approche du scrutin.
Une réforme (in)constitutionnelle contestée
Les tensions sont palpables dans la société guinéenne depuis l’annonce le 2 septembre dernier de la candidature du président sortant Alpha Condé, qui brigue un troisième mandat consécutif. Une candidature rendue possible par une réforme constitutionnelle dénoncée depuis le mois d’octobre 2019 par le Front National de la Défense de la Constitution (FNDC), mené par l’un des principaux opposants à Alpha Condé, Cellou Dalein Diallo. Une vague de contestation dont Amnesty International estime qu’elle aurait causé au moins 50 morts, 200 blessés et nombre d’arrestations arbitraires en quelques mois.
Cette réforme, outre qu’elle semble faite sur mesure pour permettre à Alpha Condé de rester à la tête du régime, est de surcroît le résultat d’une consultation considérée comme frauduleuse pour l’utilisation d’un fichier électoral dans lequel 2,49 millions d’électeurs sont jugés « problématiques » par une enquête externe de l’OIF, l’ONU et l’Union européenne. C’est dans ce contexte que le FNDC a appelé à une reprise des manifestations malgré l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes liée à la situation sanitaire.
La réponse du gouvernement ne s’est pas fait attendre et des forces de sécurité cagoulées ont arrêté plusieurs membres influents du FNDC, notamment lors de la journée de mobilisation du 29 septembre. Ces méthodes autoritaires, en infraction des droits humains, laissent craindre le pire pour les semaines à venir.
Alpha Condé et la stratégie dangereuse du fractionnement ethnique
En toile de fond de ces troubles se dresse comme souvent dans la région le spectre des tensions ethniques, toujours ravivées lors d’échéances politiques d’importance. En Guinée, ce sont les communautés Peuls et Malinké qui forment les deux tiers des 12 millions d’habitants du pays, sans pour autant avoir une prêter allégeance à tel ou tel parti dans un pays refusant ordinairement l’ethnicisme.
Or, en affirmant que « cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre », Alpha Condé joue le jeu dangereux du fractionnement communautaire, en poursuivant cette déclaration par une mise en garde : « si vous votez pour un candidat malinké qui n’est pas du RPG [Rassemblement du peuple de Guinée, parti politique du président NdR], c’est comme si vous votiez pour Cellou Dalein Diallo », son principal opposant dans l’élection à venir. Manière directe de mettre en demeure ses électeurs malinké : si vous ne votez pas pour moi, vous trahissez votre propre camp.
Cette stratégie dangereuse rappelle des épisodes tragiques de l’histoire récente de la région, comme les affrontements entre partisans d’Alassane Ouattara et de Laurent Gbagbo en Côte d’ivoire il y a dix ans, ou plus récemment en République centrafricaine, avec les lourds bilans humains que l’on connaît, respectivement estimés à environ 4000 et près de 6000 morts.
Fermeture des frontières et jeu électoral
Fermées sans plus d’explications officielles depuis le 27 septembre, les frontières avec le Sénégal, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone ont été vues par certains comme la dernière manœuvre du gouvernement pour influencer l’élection en sa faveur.
En effet les deux partis d’opposition, l’UFDG de Cellou Dalein Diallo et le PADES d’Ousmane Keba s’insurgent d’une décision qui impacte directement leurs campagnes. En cause : des centaines de milliers de T-shirts, tracts et autres matériels de campagne fabriqués au Sénégal et désormais refoulés aux frontières. La décision pourrait également avoir pour effet d’empêcher directement plusieurs milliers de Guinéens vivant en Guinée-Bissau de voter au scrutin, de même que pour les centaines de milliers vivant au Sénégal, chez lesquels l’UFDG est très largement majoritaire.
Méthodes répressives qui rappellent les régimes autoritaires, réforme constitutionnelle invalidée par l’opposition, tensions ethniques ravivées pour des raisons purement électoralistes, et fermeture des frontières pour truquer le vote, un cocktail inquiétant à deux semaines du scrutin présidentiel. Le régime guinéen ressemble de plus en plus à une forteresse assiégée par son propre peuple qui réclame le retour de la démocratie.
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