La lune de miel entre la Corée du Sud et la Chine inquiète les Occidentaux

La lune de miel entre la Corée du Sud et la Chine inquiète les Occidentaux

C’est une tendance géopolitique qui se dessine depuis déjà plusieurs mois. Traditionnel allié précieux, longtemps jugé indéfectible, des États-Unis et, dans une moindre mesure, de l’Union européenne, la Corée du Sud semble s’engager dans un revirement diplomatique visant à se rapprocher de son voisin chinois. Depuis quelques mois, accords commerciaux bilatéraux et déclarations d’amitié réciproques entre les deux États asiatiques nourrissent l’inquiétude du camp occidental, dont l’influence continue de décroître dans la région. Et qui, désormais, craint d’y perdre l’un de ses pivots diplomatiques.  

La crise sanitaire, accélérateur d’un rapprochement déjà entamé  

En décembre 2019, Wang Yi, ministre chinois des Affaires étrangères, s’est rendu dans la capitale sud-coréenne pour une visite diplomatique de deux jours. Première en cinq ans, cette rencontre entre Wang Yi et son homologue sud-coréenne Kang Kyung-wha a acté les débuts d’un processus de « normalisation » entre les deux pays. Les relations étaient auparavant empreintes de tensions persistantes, entachées par les conséquences de l’installation du bouclier antimissile américain THAAD en Corée du Sud en 2017. L’ambiance était, ce jour-là, bien différente et les mesures de rétorsion contre la Corée du Sud mises en œuvre par Pékin presque oubliées. Le langage diplomatique, certes convenu, est pourtant révélateur : Corée du Sud et Chine sont, désormais, « des amis et des partenaires ».

Mais c’est l’un de ces cygnes noirs, comme on appelle ces évènements inattendus qui bouleversent le temps long, qui a accéléré ce timide rapprochement. La crise sanitaire née des suites de la diffusion du Covid-19 a, contre toute attente, largement facilité les relations sino-coréennes. Les deux pays se sont d’ailleurs réciproquement congratulés pour leur gestion de la vague épidémique. Un communiqué du Quotidien du Peuple, organe de communication officiel du Parti communiste chinois (PCC), saluait ainsi, en mai dernier, la coopération « efficace et exemplaire » entre les deux États asiatiques. D’un point de vue commercial, la crise sanitaire a durablement renforcé les relations commerciales bilatérales entre la Chine et la Corée du Sud, alors même que les échanges internationaux dévissaient de 19 % au second semestre 2020 et d’environ 7 à 9 % au troisième trimestre, selon les chiffres de la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (CNUCED).

En septembre, la fédération des industries coréennes (FKI) soulignait ainsi que la Chine avait, entre janvier et juillet 2020, représenté 24,3 % des exportations sud-coréennes. Un record quasi-inégalé et une situation de « dépendance », de l’aveu même de la FKI, qui ne semblent pas déplaire à la Corée du Sud. Le Pays du Matin Calme souhaite en effet profiter de la croissance économie chinoise, qui prouve la résilience du pays dans un contexte économique international troublé, pour accélérer sa reprise. Le 22 octobre, la Chine et la Corée du Sud ont d’ailleurs revu à la hausse leur accord de swap de devises wons-yuans, destiné à « renforcer davantage la coopération financière entre les deux banques centrales », selon la BOK.

Vers une alliance Chine – Corée du Sud de la sécurité dans la région ?

Si la proximité géographique peut, en partie, justifier les relations d’interdépendances économiques, c’est sur le plan sécuritaire que ce rapprochement inquiète. La Chine a su profiter du manque de finesse de l’administration Trump qui, en novembre 2019, a réclamé 5 milliards de dollars à la Corée du Sud pour la présence de ses 28 500 soldats sur son territoire. Une facture cinq fois supérieure à celle des années précédentes qui, selon l’administration Trump, se justifie par les coûts engendrés par la présence américaine sur le sol coréen. Le prix d’une sécurité jusque-là assumé par les États-Unis, désormais remis en cause. L’indignation dans le pays s’est généralisée jusque dans le camp conservateur coréen, pourtant le plus traditionnellement acquis à l’indéfectible amitié américano-coréenne. Devant l’ambassade américaine, des scènes inimaginables de manifestants dénonçant le « manque de respect » de Washington ont renforcé la fracture. Cet épisode a créé une brèche diplomatique, dans laquelle n’a évidemment pas manqué de s’engouffrer la Chine.

Quelques semaines plus tard, les deux ministres des Affaires étrangères se rencontraient, marquant le début d’une longue lune de miel. La Corée du Sud s’est d’ailleurs tapie dans un silence révélateur face à la répression chinoise contre le mouvement autonomiste hongkongais et l’imposition d’une loi sur la sécurité nationale, mettant à bas la singulière tradition démocratique de la petite région administrative spéciale. Un mutisme pesant aussi, face à l’approche offensive de Pékin en mer de Chine méridionale, espace traditionnellement disputé entre différents pays.

Dossier nord-coréen : États-Unis et Europe out

Chose rare, les ministres de la Défense de la Corée du Sud et de la Chine affichent désormais des relations cordiales, même sur le point le plus sensible des relations sino-coréennes, à savoir le dossier nord-coréen. Dossier sur lequel l’Union européenne est, malgré ses prises répétées de position, inaudible et les États-Unis, encore dans l’incertitude à l’approche de l’élection présidentielle, d’un appui modéré. Dans un communiqué diffusé le 23 octobre par l’agence de presse sud-coréenne Yonhap, les deux ministres se sont engagés à jouer un « rôle constructif », à mener « des efforts conjoints », tout en assurant une « communication étroite » entre leurs deux pays. En bref, face à la faiblesse diplomatique européenne et aux revirements américains, la Corée du Sud semble décider à régler les problèmes de la péninsule sans l’Occident.

Le rapprochement stratégique est aussi l’occasion, petit à petit, de cicatriser les plaies encore vivaces d’un passé douloureux. La Corée du Sud a rendu à la Chine les restes de 117 soldats chinois de l’Armée populaire volontaire, tombés dans ce que l’Empire du Milieu nomme encore « la guerre de résistance à l’agression américaine et d’aide à la Corée » qui, entre 1950 et 1953, a coûté la vie à environ 3 millions de personnes, civiles ou militaires. La Chine précise qu’il s’agit là du « transfert le plus important depuis 2015 ». Ces transferts, certes hautement symboliques, permettent cependant de prendre la température des relations diplomatiques bilatérales entre les deux pays. Qui est, depuis quelques mois, inhabituellement chaude.

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