Le 46e président américain Joe Biden a été accueilli favorablement à travers le continent américain, à une rare exception notable et à une nuance près. En témoignent les réactions contrastées de part et d’autre des frontières des États-Unis, du Canada ravi qui doit contenir sa joie pour ne pas trop offusquer Donald Trump, au Mexique n’osant étrangement prendre position sur la validité de l’élection. Quant au silence du brésilien Jair Bolsonaro, il contraste en Amérique latine avec un enthousiasme mesuré face à l’espoir d’un léger retour en grâce du multilatéralisme.
Le visage de l’ancien vice-président de Barack Obama n’est bien-sûr pas inconnu sur le continent américain, des glaces du nord à celles du sud en passant par de nombreuses terres chaudes. Suite à la prise de fonction de Barack Obama en 2009, Joe Biden s’était lancé dans une tournée diplomatique en Amérique latine pour faire part d’un ton et d’un style nouveaux par rapport à l’administration de George W. Bush. Soit disait-on moins d’ingérence et plus de consultation. « Un renouveau du partenariat » souhaitait alors le tout nouveau vice-président. « Le temps des États-Unis dictant les choses unilatéralement, le temps où nous parlions mais n’écoutions pas, c’est fini. » Écouter certes, mais dans le cadre d’un relatif désintérêt stratégique vis à vis des voisins américains, hormis dans la poursuite des politiques de lutte contre les deux enjeux qui inquiètent Washington : le trafic international de drogues et les flux migratoires. Et ce au-delà d’enjeux commerciaux spécifiques à chaque pays, sans oublier la plus significative évolution de l’époque : le changement de ton et l’ouverture envers Cuba.
Le Canada heureux et l’étrange posture du président mexicain
Le plus heureux des voisins a sans doute été le premier ministre canadien Justin Trudeau qui, samedi dernier, a été le premier dirigeant des pays du G7 à envoyer ses félicitations à Biden via Twitter. Ce réseau social semble d’ailleurs être devenu le vecteur principal des réactions officielles. Ceci dit l’importance de la relation bilatérale ne pouvait se contenter de quelques mots. Ainsi deux jours plus tard Justin Trudeau a été le premier dirigeant étranger à recevoir un appel du futur président des États-Unis. La presse canadienne voit dans l’élection de Biden un retour à une relation plus traditionnelle et apaisée entre les deux pays. Les deux hommes auraient discuté pandémie de Covid avant tout, et commerce. « Les années au pouvoir de Trump ont été marquées par des turbulences dans les relations commerciales (…). L’arrivée au pouvoir de Joe Biden signifie probablement la fin des menaces des tarifs sur l’acier et l’aluminium imposés au Canada en 2018 », écrit La Presse. Quelques autres dossiers épineux attendent les deux hommes, sur le plan bilatéral comme plus largement sur l’international, notamment vis à vis de la Chine.
Le voisin mexicain a de son côté autant surpris que déçu avec une prudence jugée excessive voire partisane quant au résultat final de l’élection présidentielle américaine. Samedi dernier le chef d’État Andrés Manuel López Obrador (dit Amlo) a estimé qu’il était trop tôt pour féliciter Joe Biden : « Nous allons attendre que toutes les questions légales soient résolues » a-t-il affirmé. Amlo n’en est pas à sa première maladresse sur le plan international, et son histoire personnelle qui permet de mieux comprendre ce positionnement étrange est peu connue au-delà du Mexique. L’homme opiniâtre qui parvint à emporter largement la présidence mexicaine en 2018 s’est en effet fait notoirement voler l’élection présidentielle de 2006. L’élection officielle de Felipe Calderón avait alors été saluée par la communauté internationale sans aucun recul critique. Toutefois on ne peut non plus omettre la relation très spéciale et « amicale » que l’homme de gauche Amlo avait tissé avec Donald Trump, allant jusqu’à flatter le locataire de la Maison blanche in situ en août dernier, en pleine campagne électorale. Espérons pour le Mexique que Biden n’en prenne pas ombrage.
Amérique centrale, Cuba, Venezuela : des espoirs prudents
Non loin de là en Amérique centrale les félicitations envers Joe Biden n’ont pas tardé et ont été conventionnelles. Source d’importants flux migratoires et en proie comme au Mexique à la violence des cartels de narcotrafiquants (dans les faits des « multi-trafiquants » au pouvoir exponentiel), ces pays sont suivis de près par Washington sur les questions sécuritaires.
A Cuba le président Miguel Diaz-Canal a prudemment salué l’élection de Biden et a déclaré bien vouloir croire « en la possibilité d’une relation bilatérale constructive et respectueuse des différences ». Dans une interview donnée en début de mois au média en ligne Cibercuba, Biden a promis l’élimination des restrictions de Trump sur les remesas et les voyages, mais sans omettre de défendre les droits de l’homme et d’exiger la libération des prisonniers politiques. « Biden ne va pas insister sur la levée de l’embargo » mais son objectif sera « d’émanciper le peuple cubain et de promouvoir la démocratie sur l’île », explique Jorge Duany, directeur de l’Institut de recherches cubaines de l’université internationale de Floride.
Il n’a pas fallu longtemps au pouvoir vénézuélien pour saluer la victoire du démocrate contre Trump. Nicolas Maduro a même utilisé Twitter pour l’exprimer : « Je félicite le président élu Joe Biden et la vice-présidente, Kamala Harris, pour leur victoire. Le Venezuela (…) sera toujours prêt au dialogue et à la bonne entente avec le peuple et le gouvernement des États-Unis ». Lors d’une déclaration télévisée, il a ensuite précisé : « Avec patience, nous travaillerons, je l’espère, pour rétablir des canaux de dialogue décents, sincères et directs avec le futur gouvernement de Joe Biden ». Maduro a pour l’instant tout intérêt à se montrer sous un jour favorable, au-delà de ses habituelle rodomontades, lui qui est accusé par le département de la Justice américain de « narcoterrorisme », en lien avec le cartel de los Soles. Une récompense de 15 millions de dollars est toujours promise à toute personne susceptible d’apporter des informations facilitant son arrestation. Pas facile à désamorcer…
L’exception Bolsonaro, ou la voie du « paria international »
Au Brésil, Jair Bolsonaro qui mercredi n’avait toujours pas félicité Joe Biden pour sa victoire, n’est sorti de son silence jugé embarrassant que trois jours après l’élection. Et ce pour évoquer le sujet sur lequel il est attendu tournant, l’Amazonie. Ainsi il a déclaré n’entendre subir aucune pression supplémentaire. Auparavant le président brésilien avait très mal réagi aux menaces de sanctions économiques liées à la déforestation de la forêt amazonienne émises par Biden lors du premier débat présidentiel aux États-Unis. Pour le quotidien O Globo, « l’omission brésilienne fait honte au pays qui revendique le leadership en Amérique latine » et Bolsonaro « offense la tradition de la diplomatie brésilienne, abandonne son rôle central régional et fait un pas de plus vers la position de « paria international » ». Une mauvaise posture qui ne peut que nuire à l’économie brésilienne.
Le « soulagement » s’est clairement exprimé du côté argentin et du gouvernement du président Alberto Fernandéz. Le ministre des Affaires étrangères Felipe Solá a reconnu de régler quelques contentieux commerciaux avec les États-Unis, notamment sur le marché du biodiesel qui subit des droits de douanes à hauteur de 150%. Ceux-ci ont été imposés il y a deux ans par Trump afin de protéger les producteurs nord-américains a rappelé le ministre. En Colombie, le président Iván Duque souhaite continuer de travailler avec les États-Unis, notamment pour « fortifier l’agenda commun sur le commerce, l’environnement, la sécurité et la lutte contre le crime international ».
Ailleurs, au Chili comme en Bolivie (où vient d’être élu le nouveau président Luis Arce, ancien ministre de l’Économie d’Evo Morales), parmi les autres pays voisins aussi, les félicitations sobres et positives se sont succédé. Beaucoup ont également eu un mot élogieux pour la première vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris.
Gaëtan Mortier
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