Éthiopie : le conflit dans le Tigré fait craindre une déstabilisation régionale

Éthiopie : le conflit dans le Tigré fait craindre une déstabilisation régionale

Les combats se poursuivraient dans la région dissidente du Tigré en Éthiopie, malgré la « victoire » annoncée par le Premier ministre Abiy Ahmed le 28 novembre dernier. Alors que certains experts craignent une partition sanglante de l’Éthiopie, composée de neuf régions administratives et d’environ 80 communautés, les médiations internationales n’ont pour l’instant pas abouti. Grave facteur d’inquiétude, l’accès au Tigré est totalement fermé par les autorités éthiopiennes, y compris pour les humanitaires et les observateurs de l’Onu, dont une équipe s’est fait tirer dessus par des forces gouvernementales dimanche dernier.

Le chef du gouvernement éthiopien Abiy Ahmed a beau avoir déclaré que les combats sont terminés depuis la prise de la capitale tigréenne par les forces gouvernementales, personne ne semble croire à cette affirmation improbable. L’offensive contre le Front de Libération du Tigré (TPLF), lancée le 4 novembre dernier dans le territoire rebelle, ne peut avoir écrasé si vite la farouche volonté de combattre des forces tigréennes, très nombreuses et décrites par les experts comme ayant une longue tradition de guérilla.

Un prix Nobel de la paix à l’offensive

Dans un pays décrit miné par les tensions ethniques, le risque d’enlisement du conflit comme d’embrasement régional semble réel. Les tensions entre le gouvernement fédéral et le Tigré vont crescendo depuis l’arrivée au pouvoir en 2018 d’Abiy Ahmed, qui a mis fin à une trentaine d’années de domination tigréenne sur l’État éthiopien. Le TPLF, anciennement tout-puissant, fait l’objet d’un fort ressentiment de la part de communautés qui souhaitent prendre leur revanche, notamment les Amharas et les Oromos, ethnie du chef de l’État. Une défiance et une volonté d’autonomisation récente de la part des Tigréens a entraîné la réaction forte d’Abiy Ahmed… prix Nobel de la paix 2019 pour son action dans la résolution du conflit avec l’Érythrée voisine.

Alors qu’Abiy Ahmed déclare avoir nommé une administration provisoire dans le Tigré, rien ne filtre du terrain qui est totalement coupé de l’extérieur. Aucune communication ne passe et même l’aide humanitaire ne peut accéder au territoire occupé où l’on craint la famine, en plus d’exactions d’un camp comme de l’autre. Et ce dans un contexte humanitaire qui était déjà critique avant les combats. Amnesty International rapporte un probable massacre de villageois oromos par des forces loyales au pourvoir tigréen. Plusieurs dizaines de milliers de réfugiés tigréens ont rejoint la frontière avec le Soudan pour fuir les combats.

Le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, s’est également dit très inquiet pour les près de 100.000 réfugiés érythréens installés dans des camps en Éthiopie, camps auxquels l’Onu n’a plus accès. Malgré un accord signé avec Addis-Abeba pour un accès des humanitaires au Tigré, une équipe de l’Onu a essuyé des tirs et a été arrêtée alors qu’elle tentait de pénétrer dans la région. Des faits confirmés et assumés par le porte-parole gouvernemental qui a nié tout « accès sans restriction » au territoire en guerre. Le gouvernement éthiopien dit vouloir conduire et coordonner tout assistance humanitaire. En attendant, aucune aide n’a pu être acheminée et la situation humanitaire comme sécuritaire demeure inconnue.

La médiation de l’Union africaine au point mort

Au cours des semaines passées plusieurs médiations ont été tentées, par la diplomatie française et américaine, mais surtout par le chef d’État sud-africain Cyril Ramaphosa, actuel président de l’Union africaine (UA). Trois envoyés spéciaux de l’UA ont rencontré le Premier ministre Abiy Ahmed, mais apparemment l’initiative demeure au point mort. Et, comme l’a souligné Radio France Internationale, lors d’un sommet exceptionnel de l’UA dimanche dernier, M. Ramaphosa a surpris en n’évoquant pas le Tigré dans son discours. Signe que son initiative n’a pour l’instant guère avancé. Il est aussi à souligner que la capitale éthiopienne accueille le siège de l’Union africaine, ce qui dans ce cas pourrait représenter une difficulté dans les discussions.

L’inquiétude poindrait également du côté de la Chine, dont l’Éthiopie est la porte d’entrée en Afrique dans le cadre de ses fameuses « nouvelles routes de la soie ». Mais « les plus proches alliées de l’Éthiopie n’ont pas pour habitude d’intervenir dans ce genre d’affaire » a souligné dans une interview à 20 Minutes Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

Un risque d’embrasement dans la Corne de l’Afrique ?

« Cette crise aura forcément des conséquences au plan régional » écrit le chercheur Gérard Grizbec dans un article publié sur le site web de l’IRIS (« Conflit en Éthiopie, un risque d’embrasement pour toute la Corne de l’Afrique »). Géant de la Corne de l’Afrique, l’Éthiopie « était jusqu’alors un facteur de stabilité régionale, entouré de pays en guerre ou en crise : les deux Soudan à l’Ouest, l’Érythrée au Nord et la Somalie au Sud-Est. (…) Le pays subit déjà le plus grand mouvement migratoire interne de la planète, de l’ordre de 3 millions de personnes, qui errent d’une région à l’autre, en raison de la malnutrition et des frictions entre les communautés. »

Dans une de ses vidéos d’analyse « Comprendre le monde », Pascal Boniface se montre très inquiet alors que le Premier ministre éthiopien « a refusé toute médiation ». « Ceci est particulièrement grave alors que l’Éthiopie était une success story africaine, non seulement par la démocratisation du pays, mais aussi par ses performances économiques. Le pays s’est très fortement développé depuis plusieurs années et donc était présenté comme une sorte de modèle pour les autres pays africains, et là ce modèle tourne au cauchemar finalement. »

Si les Tigréens ne demandent pas formellement l’indépendance malgré leur intention de mettre en place des institutions et un processus électoral sans l’aval du pouvoir central, ce dernier craint que cela mène à un désir d’indépendance au Tigré comme dans d’autres régions. D’un autre côté, souligne M. Boniface dans 20 Minutes, si l’usage de la force est excessif, si la répression est trop forte, l’indépendance pourrait alors devenir un objectif. Et, même en cas de victoire militaire par le gouvernement fédéral, si l’Éthiopie « n’offre pas une piste de réconciliation, un jour ou l’autre les combats reprendront. »

Gaëtan Mortier

 

Crédit photo : Aron Simeneh (licence Creative Commons)

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