Taïwan, Iran, Cuba, Yémen : pour le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, ces dossiers à l’importance variable pour les intérêts de Washington méritaient un tour de vis ou un coup de marteau. Aussi, alors que Pompeo devait se rendre en Belgique cette semaine pour rencontrer le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg, son déplacement a été annulé au dernier moment.
Après être passé à l’offensive ces derniers jours sur des dossiers qui lui tiennent à cœur, Pompeo avait prévu aujourd’hui une visite à Bruxelles, où siège l’Alliance atlantique, afin de rassurer ses alliés de l’Otan. A l’occasion d’une rencontre privée avec son secrétaire général, l’intention était de « souligner l’importance durable du partenariat transatlantique », afin d’atténuer en bout de course la portée des critiques de Trump à son égard.
Son voyage a finalement été annulé la veille dans le contexte agité de mise en accusation de Trump, menacé d’une seconde et improbable destitution par les élus démocrates du Congrès. Pompeo se serait jugé plus utile aux côtés de Trump mais, selon l’agence de presse Reuters, l’absence de volonté des représentants de l’Union européenne de le rencontrer serait la véritable raison de ce revirement. La semaine dernière, les saillies du ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Jean Asselborn au sujet de Trump (« un pyromane politique qui doit être traduit devant un tribunal pénal »), inversement proportionnelles à son poids politique, avaient déjà jeté un froid. En conséquence l’étape prévue au Luxembourg avait été annulée, avant que le soit le voyage dans son ensemble. L’Europe attendra donc l’arrivée imminente de l’administration Biden pour entendre des mots rassurants de la part des États-Unis.
Taïwan choyé, Pékin menace
Le démocrate Joe Biden prendra ses fonctions le 20 janvier prochain, et pour le secrétaire d’État Pompeo il est apparu indispensable de verrouiller certaines de ses cibles prioritaires. La Chine en premier lieu, même si la future administration Biden est très peu susceptible de renverser l’hostilité envers le régime autoritaire chinois, largement partagée parmi républicains et démocrates.
Ainsi on apprenait samedi dernier que les États-Unis levaient les restrictions sur les contacts entre représentants américains et taïwanais. Cela induit désormais la possibilité pour des officiels de Taïwan de participer à des réunions dans des lieux officiels du pouvoir américain au lieu de points de rencontres non officiels comme des hôtels. Soit un petit pas supplémentaire vers la reconnaissance et le traitement d’une forme d’indépendance d’une île considérée comme une province rebelle par la Chine. La nouvelle a été accueillie avec enthousiasme, qualifiée d’« énorme » par Joseph Wu, ministre taïwanais des Affaires étrangères.
Par contre a été annulée une visite sur l’île de l’ambassadrice américaine à l’Onu, Kelly Craft. Son plaidoyer anticipé en faveur de l’insertion de Taïwan dans « l’espace international » ne sera pas développé cette fois-ci, ce qui aura permis à Pékin d’éviter – au moins temporairement – l’expression d’un nouvel accès de colère. Toutefois les menaces chinoises de réaction ferme envers Taïwan et les États-Unis demeurent limpides.
L’Iran, « nouvelle base d’Al Qaïda » selon Pompeo
Au-delà d’une forme de consensus américain sur les rapports conflictuels à l’encontre d’une Chine rivale à l’image toujours plus dégradée, Mike Pompeo s’est engagé avec fermeté sur deux autres dossiers qui séparent républicains et démocrates. Au sujet de l’Iran comme de Cuba, l’objectif de ce qu’il reste d’une administration Trump à l’agonie est globalement perçue comme une volonté de dresser des obstacles à la baisse des tensions souhaitée par l’imminent président Joe Biden.
Ainsi samedi dernier Mike Pompeo a accusé l’Iran d’être un refuge Al Qaïda, d’après des informations nouvellement déclassifiées, mais non encore détaillées. L’Iran aurait abrité des commandants terroristes dans le cadre d’une alliance qui daterait de 2015… année de la signature sous Barack Obama de l’accord sur le nucléaire iranien, duquel se désengagera trois ans plus tard Donald Trump. « Al-Qaïda a une nouvelle base : c’est la République islamique d’Iran » a-t-il avancé hier lors d’une intervention. Ce que bien entendu dément l’Iran. Au passage, afin d’illustrer partiellement ses propos contestés, le secrétaire d’État américain a confirmé l’élimination cette année à Téhéran du numéro deux d’Al Qaïda. Joe Biden, qui souhaite reprendre le dialogue avec la République islamique, connaîtra de ce fait davantage de difficultés sur un dossier qui ne manquait déjà pas de piquant.
Cuba accusée de soutenir le terrorisme
L’île communiste des Caraïbes avait souffert du renforcement de l’embargo par Donald Trump, mais elle ne s’attendait peut-être pas à ce coup dur assené à la dernière minute. En début de semaine Mike Pompeo annonçait en effet une terrible nouvelle : le régime est de nouveau placé sur la liste noire des « États soutenant le terrorisme pour avoir apporté son soutien de manière répétée à des actes de terrorisme international en donnant refuge à des terroristes ». D’après les accusations, Cuba accueille des criminels américains, des rebelles colombiens des Farc et refuse d’extrader vers la Colombie des anciens dirigeants guérilleros de l’ELN. L’île retrouve ainsi la liste noire qui compte l’Iran, la Corée du nord et la Syrie ; comme c’était le cas avant 2015 et l’ouverture voulue par Obama. Cette année-là les deux pays avaient rétabli leurs relations diplomatiques.
Il s’agit « d’un acte arrogant d’un gouvernement discrédité, malhonnête et en banqueroute morale » a aussitôt réagi le ministère des Affaires étrangères cubain. Les conséquences économiques importantes pour l’île et sa population sont redoutées, puisqu’elles vont entraver les investissements étrangers. De même elles peuvent aboutir à des obstacles à l’aide extérieure américaine, une interdiction des ventes d’armes ainsi que diverses restrictions financières. Des mesures qui pourraient être difficiles à surmonter pour l’administration Biden, puisque un examen formel de la situation démontrant le contraire devra être mené à bien pour annuler de telles décisions.
Autre initiative avant le départ sans gloire de l’administration Trump : le classement des rebelles houthis du Yémen comme organisation terroriste étrangère. Une nouvelle pour le plus grand plaisir de l’allié saoudien, qui aux côtés du gouvernement yéménite combat les Houthis avec très peu de réussite et au prix de lourdes pertes. Cela représente en parallèle un coup porté à l’Iran, qui soutient le combat de l’organisation armée, tant au Yémen que dans des attaques menées contre des installations pétrolières en Arabie Saoudite. La mesure américaine est dénoncée par certaines ONG pour les effets désastreux qu’elle risque de provoquer sur l’acheminement de l’aide humanitaire dont dépend 80 % de la population.
Gaëtan Mortier
Crédit photo : Gage Skidmore (licence Creative Commons)
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