Le temps de la négociation approche : c’est la conclusion qui semble prévaloir parmi certains belligérants d’un conflit dénoncé par l’Onu comme la pire catastrophe humanitaire en cours dans le monde. De plus, la coalition menée par l’Arabie Saoudite en soutien au gouvernement yéménite, qui lutte contre les rebelles houthis appuyés par l’Iran, a subi de trop grands revers militaires. Les États-Unis, alliés de Riyad, semblent déterminés à jouer un rôle positif dans la recherche d’une solution diplomatique.
Il faut « soutenir les efforts diplomatiques », « cette guerre doit cesser » : la nouvelle administration américaine menée Joe Biden apparaît déterminée à accélérer un processus de négociation dorénavant souhaitable pour son allié saoudien. Par un geste fort elle a décidé de suspendre l’essentiel de ses livraisons d’armes à Riyad, qui est accusée d’en faire un mauvais usage : trop de pertes civiles et un manque d’efficacité flagrant contre les cibles militaires.
De surcroît, si l’administration américaine a une nouvelle fois demandé aux Houthis de mettre un terme à leur offensive militaire, elle a aussi annoncé au Congrès sa volonté de les retirer de leur liste des groupes terroristes. Son inscription avait été décidée par Trump et Pompeo juste avant de quitter la Maison Blanche. « Cette décision n’a rien à voir avec ce que nous pensons des Houthis et de leur conduite répréhensible, dont des attaques contre des civils et l’enlèvement de citoyens américains » a précisé un porte-parole du département d’État.
« Nous nous sommes engagés à aider l’Arabie saoudite à défendre son territoire contre de nouvelles attaques. Notre action est due uniquement aux conséquences humanitaires de cette désignation de dernière minute de l’administration précédente (…) ». En effet, toute personne ou entreprise commerçant ou livrant des biens même à visée humanitaire avec les Houthis aurait ainsi pu faire l’objet de sanctions américaines.
Une catastrophe humanitaire, des exactions de part et d’autre
Dans une guerre qui dure depuis six ans et qui a ruiné le pays, les différentes mouvances houthis apparaissent en position de force et ne peuvent être mises de côté. Elles contrôlent une grande partie du pays, dont la capitale Sanaa depuis 2014, et leur dynamique de conquête pourrait les pousser encore plus en avant.
Le bilan des combats se chiffre en dizaines de milliers de morts tandis que le nombre de réfugiés atteint les 20 millions. Désormais ce n’est pas moins de 80% de la population yéménite qui vit dans des territoires contrôlés par les groupes rebelles. Et, selon l’Onu, c’est également 80 % de la population (soit 24 millions de personnes) qui a besoin d’aide humanitaire et de protection contre les exactions commises de part et d’autres.
L’organisation non gouvernementale Human Rights Watch dénonce de nombreux crimes de guerre présumés dans son rapport mondial 2021. « Le Groupe d’experts éminents des Nations Unies sur le Yémen a rapporté en septembre que le pays souffrait d’une « absence généralisée de responsabilité », citant les violations impunément commises par la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, par le groupe armé houthi, par le gouvernement du Yémen et par le Conseil de transition du Sud à Aden. » (Yémen : nécessité d’un mécanisme de justice internationale).
L’échec militaire saoudien, une incitation à négocier
Dans la foulée des déclarations volontaristes américaines, les belligérants ont salué la volonté de négociation. « Nous sommes prudemment optimistes », a déclaré à l’AFP un responsable houthi, tandis qu’un autre saluait comme un pas vers la paix le retrait de leur désignation comme groupe terroriste. De son côté, le chef de la diplomatie iranienne a affirmé son soutien à « tout rôle efficace » de l’Onu, alors qu’il recevait lundi son émissaire pour le Yémen. Le but affiché étant de parvenir d’abord à un cessez-le-feu puis de reprendre un processus politique, qui promet toutefois d’être d’une grande complexité.
Du côté de Riyad on se dit satisfait du travail à venir avec « les amis Américains pour mettre fin au conflit ». Tout au long de l’année 2020 l’Arabie Saoudite aurait discrètement tenté des prises de contact avec les rebelles houthis, se rendant à l’évidence de son incapacité sur le terrain à stopper leur avancée. Tout comme elle n’a pu empêcher des attaques spectaculaires sur son sol, probablement « agilisées » par l’Iran, comme ce fut le cas en septembre 2019 quand des drones ont frappé avec succès de très importantes installations pétrolières.
Un échec opérationnel et stratégique patent malgré des investissements colossaux dans un conflit dont le coût serait de 3 à 4 milliards de dollars par mois, selon un ancien ambassadeur américain au Yémen. Un échec malgré les formidables moyens technologiques investis dans ce conflit grâce aux armes achetées tant aux États-Unis qu’aux Européens. C’est bien l’impuissance de la très décriée armée saoudienne qui pousse le pays à reconsidérer la diplomatie. Et, par-dessus le marché, si les Américains comme une partie des Européens commencent à renâcler pour fournir des armes…
Biden stoppe les livraisons d’armes. Et l’Europe ?
Le Congrès américain avait déjà voté en 2019 le blocage des livraisons d’armes à l’Arabie saoudite, mais Trump y avait opposé son veto. L’arrivée au pouvoir de Joe Biden a changé la donne. Les Américains ont annoncé la fin de leur soutien opérationnel aux forces saoudiennes en matière de renseignement et de logistique, de même qu’ils souhaitent stopper la vente de munitions à guidage de précision. Les Émirats arabes unis, alliés de la coalition anti-houthis, sont également visés : la vente de chasseurs de nouvelle génération F-35 sera réexaminée.
Le débat politique et éthique sur la vente d’armes aux Saoudiens va dans ce contexte prendre d’avantage d’ampleur et de lumière. L’Italie a annoncé fin janvier la révocation de ses livraisons de munitions à l’Arabie comme aux Émirats, soit 12.700 bombes et missiles. « La suspension des ventes d’armes par les États-Unis est un pas dans la bonne direction et accentue la pression sur les pays européens, notamment le Royaume-Uni et la France » a réagi Philippe Nassif, cadre d’Amnesty International. Juste derrière le Royaume-Uni, la France demeure le troisième fournisseur d’armes de Riyad durant la période 2015-2019, précise l’ONG (bien que dans des proportions largement inférieures aux Américains) et le deuxième en direction d’Abou Dhabi, devant les Pays-Bas. Quant à l’Allemagne, dont les armes sont très présentes sur le terrain yéménite, elle a choisi de prolonger jusque fin 2021 un embargo décidé en 2018.
Si toutes ces avancées ne peuvent qu’être saluées, l’optimisme n’est peut-être pas de raison. Dans le fond, l’Arabie Saoudite et l’Iran souhaitent toujours l’affrontement, ne serait-ce que par procuration, et les divisions parmi les Houthis peuvent entraver l’esquisse d’efforts diplomatiques. Parmi eux, des « jusqu’auboutistes » à l’élan guerrier victorieux, et que le conflit enrichit considérablement (à lire dans Le Figaro), vont très certainement vouloir poursuivre leur offensive sanglante. De fait, lundi dernier des rebelles reprenaient leur offensive contre la ville de Marib, un des derniers bastions tenu par les forces gouvernementales. Aujourd’hui des agences de presse annonçaient qu’un aéroport du sud de l’Arabie Saoudite avait été frappé par des drones, attaque revendiquée par des Houthis… Avec ou sans réapprovisionnement d’armes et de munitions américaines ou européennes, le feu n’est pas encore près de s’éteindre au Yémen.
Gaëtan Mortier
Crédit photo : Mr Ibrahem (licence Creative Commons)
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