En Azerbaïdjan, la liberté d’informer contre la dictature

En Azerbaïdjan, la liberté d’informer contre la dictature

16 ans de prison pour haute trahison. Une peine très lourde pour le journaliste azerbaïdjanais Polad Aslanov, dont l’appel a été rejeté il y’a quelques jours. En Azerbaïdjan, une petite république située aux portes de l’Europe, l’un des régimes les plus autoritaires -et corrompus- du monde, rares sont les journalistes qui essayent encore de défier le pouvoir et d’exercer indépendamment leur métier. Le pays occupe aujourd’hui la 168ème place (sur 180 pays) au classement mondial de la liberté de la presse, établi chaque année par l’ONG Reporters Sans Frontières

Le cri d’alarme des ONG

Du côté de la défense et de la famille de Polad Aslanov, on dénonce des accusations contrefaites, téléguidées par le pouvoir. Les autorités affirment en revanche que l’ancien rédacteur en chef des sites d’informations Xeberman et Press-az, deux médias d’opposition, aurait vendu des informations classifiées à l’Iran. Un crime de haute trahison fondé sur des accusations gravissimes qui n’ont jamais été prouvées. Ce qui importe peu aux tribunaux azerbaïdjanais, totalement inféodés au régime en place qui ont, le 16 novembre 2020, condamné Polad Aslanov à 16 ans de détention. Les « fausses preuves » sont régulièrement utilisées en Azerbaïdjan pour écarter ou mettre hors d’état de nuire certains journalistes particulièrement hostiles au régime du président Ilham Aliyev.

Le 19 juin dernier, Tezehan Miralamli, journaliste au quotidien d’opposition Azadlig, a ainsi été condamné pour « hooliganisme ». Un terme générique et volontairement flou pour désigner les actions « portant atteinte à l’ordre social », selon les termes du code pénal local. Il est accusé d’avoir violenté un blogueur proche du pouvoir, dont le témoignage à charge constitue la seule preuve incriminant Tezehan Miralamli. Un récit inventé, selon l’association Reporters Sans Frontières, qui milite de longue date pour une meilleure prise en compte de la liberté de la presse dans le pays. Mais surtout un moyen de le réduire au silence. La peine prononcée, qui l’astreint au port d’un bracelet électronique et le contraint à résidence entre 23 h et 7 heures, l’empêche d’exercer son métier.

Selon l’ONG, les cas de journalistes condamnés pour « hooliganisme » ou « coups et blessures » à partir de témoignages fantoches sont nombreux. Reporters Sans Frontières cite, par exemple, Mehman Huseynov, Elchin Hasanov ou encore Afgan Sadykhov. Plus ponctuellement, d’autres méthodes peuvent être utilisées, comme la « découverte » d’armes ou encore de drogue ou la révélation de montages financiers et fiscaux illégaux. Hilal Mammedov a ainsi été condamné à cinq ans de prison en 2014 pour, entre autres chefs d’accusation, trafic de drogues. Dans l’immense majorité des cas, les armes ou la drogue sont placées en amont par les autorités au domicile de la personne visée. Avant d’être « découvertes » dans le cadre d’une perquisition.

En Azerbaïdjan, dénoncer la corruption vous mène en prison

Si Polad Aslanov a été pris pour cible par Bakou, c’est surtout pour ses critiques acerbes contre le régime et notamment le tout-puissant Service de Sécurité de l’Etat (DTX), dont le journaliste s’apprêtait à révéler les pratiques répétées d’extorsions de fonds. Une institution, dont le chef Ali Nagiyev a été au cœur de manœuvres financières douteuses, alors même qu’il occupait le poste hautement stratégique de chef adjoint de la direction principale de la lutte contre la corruption. En 2017, l’OCCRP, un consortium de journalistes d’investigation, a ainsi révélé qu’Ali Nagiyev avait été très largement profité du système de la « laverie azerbaïdjanaise », un vaste dispositif de détournement de fonds impliquant une partie des élites du pays. Ali Nagiyev aurait, par exemple, ainsi que ses fils Ilgar et Ilham, touché au moins 350 000 euros directement de ce système, ainsi qu’1,25 million d’euros par le truchement d’une société immobilière domiciliée en République tchèque. Des faits avérés qui ne l’ont pas empêché de prendre, en 2019, la tête des services de sécurité de l’Etat, révélant l’impunité dont jouissent les élites azerbaïdjanaises.

Plus les enquêtes des journalistes dérangent le pouvoir en place et touchent les hauts dirigeants du pays, plus l’addition est salée. Surtout dans un pays classé 129ème à l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par Transparency International. Surtout aussi dans un pays, dont le gouvernement a été accusé d’avoir fait de la corruption un système diplomatique à travers la « diplomatie du caviar », longtemps au cœur de la stratégie des élites azerbaïdjanaises pour rendre acceptable la politique intérieure et extérieure du pays. Khadija Ismaïlova, journaliste membre de l’OCCRP, connue pour ses travaux sur la corruption endémique qui pullule au plus haut sommet de l’État, a été condamnée à sept ans et demi de prison en 2015. Le schéma est quasiment identique que pour l’arrestation de Polad Aslanov. Elle est en effet, en février 2014, accusée d’avoir vendu des secrets d’Etat aux Etats-Unis. Elle sera, sous la pression internationale, finalement libérée le 26 mai 2016.

 

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