En proie au chaos depuis 2011, la figure du maréchal Haftar semble se détacher comme la seule alternative possible à l’instabilité politique et au risque terroriste. Plusieurs pays, comme la Russie, les Emirats arabes unis, l’Egypte et, plus discrètement, certains Etats européens, misent sur lui.
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en octobre 2011, la Libye est livrée au chaos. Trois jours après la mort du dictateur, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la « libération totale » du pays.
Ce n’est en réalité que le début d’un long conflit opposant deux autorités qui se disputent le pouvoir : un gouvernement d’union nationale (GNA) dirigé par Fayez el-Sarraj, basé à Tripoli et reconnu par la communauté internationale, et des autorités dirigées par Khalifa Haftar, présentes à l’Est du pays.
La Libye en proie au terrorisme
Nommé chef de l’état-major de l’armée en novembre 2011, cet ancien chef militaire du CNT préfère se retirer dans sa maison de Benghazi afin de laisser à l’Etat la possibilité d’unifier les nombreux groupes armés. Mais l’échec du Congrès général national (CGN) puis de la Chambre des représentants est rapidement patent.
En 2013, la capitale est le théâtre de plusieurs attaques contre des représentants diplomatiques et les ports pétroliers de l’Est sont bloqués par des groupes armés. Le président est accusé d’abuser de ses pouvoirs et le CGN décide d’appliquer la Charia au sein du pays.
C’en est trop pour Khalifa Haftar, d’inspiration laïque et fermement opposé à toutes les formes d’expression politique de l’islam, qui annonce, le 14 février 2014, la dissolution du CGN et appelle à la formation d’un comité de gouvernement intérimaire pour superviser de nouvelles élections.
De plus en plus, il oriente ses forces dans lutte contre le terrorisme islamique, qui gangrène alors le pays. Promu maréchal en 2016, il se dit prêt à collaborer avec la Russie et les Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme.
Le 5 juillet 2017, il gagne, grâce à une victoire décisive, une légitimité supplémentaire auprès de la communauté internationale. « Après une lutte continue contre le terrorisme et ses agents, qui a duré plus de trois ans, nous annonçons la libération de Benghazi du terrorisme. Une libération totale », se félicite le maréchal dans un discours retransmis à la télévision. Benghazi entrait alors, selon ses mots, « dans une nouvelle ère de paix, de sécurité, de réconciliation et de reconstruction ».
Interlocuteur libyen unique
Si la victoire de l’Armée nationale libyenne (ANL), commandée par Haftar, restait inespérée, c’est surtout du fait de la vétusté de son matériel, largement hérité de la Russie soviétique. « Nous avons une armée qui combat avec des Mig 23 qui ne sont plus en production depuis 1982 en Russie. On manque considérablement d’armements mais surtout d’anti-explosifs, de moyens de détecter les mines… Nous avons subi de nombreuses pertes humaines, plus de 5 000 martyrs et quelques milliers de blessés et notamment de civils », expliquait Mohamed Dayri, le ministre des Affaires étrangères de Haftar, deux semaines après la bataille de Benghazi.
Pendant ce temps, Fayez el-Sarraj, désigné président du Conseil présidentiel et Premier ministre en 2016, est de plus en plus isolé. En mai 2017, des forces liées à son gouvernement massacrent 140 personnes dans une attaque dans le centre de la Libye. La Mission d’assistance des Nations Unies se dit « indignée » par ce qu’elle appelle des « crimes contre l’humanité » passibles de poursuites par la Cour pénale internationale (CPI).
Les soutiens du maréchal Haftar n’en sont que plus nombreux. Il peut compter sur l’appui de Moscou, du Caire et même de Washington et Paris. Certes, la France reconnaît officiellement la légitimité du GNA, mais aux yeux de Paris, l’instabilité libyenne représente deux menaces : migratoire en Méditerranée et sécuritaire dans le Sahel.
« Paris est obsédé par l’idée de trouver un interlocuteur libyen unique pour tous les volets de la crise – militaire, politique et économique », analyse Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut Clingendael et spécialiste de la Libye.
En réalité, Paris avait commencé à suivre de près l’évolution de Haftar dès 2015, lorsque Daesh s’implantait à Derna et que les islamistes contrôlaient une partie de Benghazi. Des forces spéciales ont même été envoyées dans l’Est du pays en 2017 et 2018 pour soutenir l’offensive du maréchal dans le Fezzan, où des groupes armés venus du Mali se repliaient et se ressourçaient. Une coopération militaire franco-libyenne qui a fortement contribué à renforcer les liens entre la France et le camp Haftar.
Soutien discret mais solide
« C’est vrai que nous estimons qu’il [Haftar] fait partie de la solution », concédait à demi-mots en 2019 Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français. « Haftar a lutté contre le terrorisme à Benghazi et dans le sud de la Libye et cela était dans notre intérêt, celui des pays du Sahel, celui des voisins de la Libye ». Et d’ajouter : la France est impliquée dans le dossier libyen « pour combattre le terrorisme », « notre objectif prioritaire dans la région », et pour « éviter la contagion » aux pays voisins comme l’Egypte et la Tunisie, « des pays essentiels pour notre propre stabilité ». En effet, dans une France encore traumatisée par Nice et le Bataclan, la situation dans la région est quasiment perçue au seul prisme du terrorisme.
Alors que le maréchal Haftar était critiqué par son offensive militaire en vue de conquérir Tripoli, M. Le Drian affirmait « la nécessité d’une solution politique » tout en rappelant que « le suivi politique [en Libye] n’a pas été effectué après la chute de Kadhafi ». Pour être discret, le soutien de Paris au maréchal n’en était pas moins solide.
Celui du président égyptien l’est tout autant. Le 20 juin 2020, Abdel Fattah Al-Sissi a même prévenu que toute avancée du GNA, soutenu par Ankara, vers la ville stratégique de Syrte pourrait mener à une intervention « directe » du Caire. Car, derrière le soutien turc, se dessine l’influence insidieuse des Frères musulmans.
Verrou stratégique vers l’Est sous contrôle du maréchal Haftar, Syrte représente une « ligne rouge » pour le Caire. « Toute intervention directe de l’Egypte est devenue légitime au niveau international, que ce soit au regard de la charte de l’ONU sur la légitime défense ou qu’elle se base sur la seule autorité légitime élue par le peuple libyen : le Parlement libyen » basé dans l’Est, a souligné M. Sissi.
De son côté, la Russie a accru son soutien logistique à une société militaire privée en Libye. D’après les informations de l’agence Reuters, quelque 338 avions cargo militaires sont partis de Syrie à destination de la Libye, entre novembre 2019 et juillet 2020, afin d’aider les combattants de la société militaire privée Wagner Group, qui aurait près de 1 200 personnes déployées en Libye et prêtes à appuyer les forces de Khalifa Haftar.
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