Un sommet de l’Antarctique pour la préservation d’un sanctuaire

Un sommet de l’Antarctique pour la préservation d’un sanctuaire

54 pays ont débattu pendant dix jours de la gouvernance et de la préservation de l’Antarctique lors d’un sommet (virtuel) organisé cette année par la France. Sanctuaire dédié à la science, le continent blanc est, depuis 1959 et la signature du Traité sur l’Antarctique, un espace naturel où toute revendication territoriale est exclue. Tandis que la recherche comme la coopération scientifique progressent doucement, l’Antarctique et les eaux qui l’entourent se trouvent toutefois dans la nécessité d’un approfondissement de leur niveau de protection. 

Le sommet annuel sur la protection de l’Antarctique est comme « une réunion de copropriétaires », selon la formule d’Olivier Poivre d’Arvor, l’ambassadeur français pour les pôles. Les nations qui ont ratifié le traité de 1959 (entré en vigueur en 1961) à sa création, ou lors des années suivantes, reconnaissent d’après le préambule du traité qu’ « il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit à jamais réservé aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux ». Les parties réunies du 15 au 24 juin ont ainsi débattu de nouvelles règles afin d’encadrer les activités humaines sur ce continent de glace, dont l’épaisseur peut atteindre 1,6 kilomètre. Des interventions qui s’inscrivent au cœur des enjeux actuels du changement climatique et ses effets dévastateurs, et en prise avec une recherche scientifique aux enjeux multiples.

« Bien que l’Antarctique soit sanctuarisé, il est aujourd’hui impératif de rehausser son niveau de protection et de l’étendre aux espaces océaniques pour faire face aux bouleversements climatiques majeurs et aux pressions exercées sur la biodiversité » écrivent Isabelle Autissier et Olivier Poivre d’Arvor dans une tribune au Monde. Sanctuarisé signifie en l’occurrence qu’aucune activité militaire ni aucune exploitation économique de ses ressources n’y est permise.

A l’issue de la rencontre virtuelle les parties prenantes au traité ont réaffirmé « leur attachement à la protection de l’environnement et aux principes de coopération régissant la planification et la conduite d’activités dans la zone du Traité sur l’Antarctique (…) » (lire la déclaration de cette 43e réunion consultative). En substance, cependant, rien de nouveau : le texte se borne à des « encouragements » déjà maintes fois exprimés, les rédacteurs « réaffirment » à de nombreuses reprises leurs engagements… Rien de neuf sous le soleil antarctique, qui d’ailleurs brille durant 24 heures lors de l’été polaire. Ce qui ne signifie pas que d’importants enjeux s’aiguisent au fil du temps.

Que représente l’Antarctique, quels sont les enjeux ?

L’Arctique, situé au nord, et l’Antarctique, qui se trouve au sud, sont séparés d’environ 20.000 kilomètres. Ce dernier continent austral qui s’étend sur 14 millions de kilomètres carrés n’a été découvert qu’en 1821 et n’a été le foyer d’aucun peuple. Y s’épanouissent toutefois au moins 9.000 espèces marines répertoriées, sur la glace comme sous ses eaux avoisinantes. Des eaux qui ont récemment été reconnues par la National Geographic Society comme formant sur notre planète un cinquième océan.

L’Antarctique contribue à près de 75 % à l’absorption globale de chaleur excédentaire et à 35 % à la séquestration du CO2 capté par l’océan mondial. Autre chiffre essentiel : 70 % de l’eau douce de la planète est contenue dans sa calotte glacière. Et, alors que la planète a gagné plus de un degré depuis l’ère pré-industrielle, ce continent de glace se réchauffe quant à lui deux fois plus vite. « En trois ans seulement, l’Antarctique a perdu autant de banquise que l’Arctique en 40 ans », explique dans une étude Claire Parkinson, une climatologue de la Nasa.

Cette semaine, le dernier rapport du Giec (le groupe des experts climat de l’Onu) s’alarme une nouvelle fois : avec un réchauffement climatique supérieur à deux degrés, la fonte des calottes glaciaires du Groënland et de l’Antarctique de l’Ouest peuvent à terme provoquer une hausse du niveau de la mer de 13 mètres… D’ici à 2100 la recherche internationale parle aujourd’hui d’une hausse s’échelonnant de 2 à 3 mètres. Les conséquence seront dévastatrices pour de nombreuses régions côtières, que ce soit par exemple au large du golfe du Mexique, dans le sud de la Méditerranée, à Madagascar ou en Afrique de l’Ouest.

Coopération scientifique contre enjeux économiques

Si à l’origine le Traité sur l’Antarctique se préoccupait essentiellement d’aspects géopolitiques, se sont ajoutés en 1991 les enjeux environnementaux avec le Protocole de Madrid. Le traité a ainsi consacré la liberté de recherche scientifique et promeut la coopération entre les nations. Les observations et les résultats scientifiques des différentes équipes sont échangés et rendus librement disponibles.

Chaque année, durant l’été austral qui s’étend de novembre à avril, environ 1.500 scientifiques débarquent en Antarctique, répartis dans 52 bases nationales, afin de mener une foule de recherches. Si la coopération et le respect des protocoles prédominent, certaines préoccupations ont récemment vu le jour. Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles, interviewé par France 24, s’inquiète ainsi de la construction en 2018 par la Chine d’une cinquième base « sans soumettre aucune étude environnementale aux autres nations ». Des sanctions sont à l’étude, mais le sujet n’a été jusqu’à présent pas été détaillé.

Au-delà delà des enjeux scientifiques, la zone riche en hydrocarbures et en minerais aiguise certains appétits. La question de la pèche dans les eaux antarctiques est également épineuse. La réunion annuelles des nations aborde ainsi le thème essentiel des aires maritimes protégées (AMP), vouées à s’étendre selon la volonté d’une vaste majorité d’États faisant partie du Traité de l’Antarctique. A l’exception de la Russie et de la Chine qui y font obstacle. Si deux aires maritimes protégées existent déjà, l’Europe en propose deux nouvelles, qui protégeraient près de 3 millions de kilomètres carrés supplémentaires. Le Chili et l’Argentine ont également avancé une autre proposition d’AMP qui s’étendrait sur 650.000 kilomètres carrés.

Un des buts fondamentaux est de protéger le krill, une petite crevette à la base de la chaîne alimentaire, une biomasse vitale pour l’approvisionnement en nutriments des océans. Si le krill est exploité par la pèche et n’est pas protégé, c’est la faune qui risque de disparaître progressivement. Or la pèche en question convoite cette base vitale pour l’existence de l’ensemble de la faune marine. La déclaration finale de la réunion qui vient de se clore n’évoque pas – diplomatie oblige – cet écueil antarctique au potentiel destructeur. Cependant la question devrait être abordée en octobre à l’occasion de la réunion de la commission internationale chargée de la conservation des écosystèmes marins de l’Antarctique.

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