Haïti : après l’assassinat du chef d’État, une enquête internationale complexe

Haïti : après l’assassinat du chef d’État, une enquête internationale complexe

L’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse il y a une semaine par un groupe de mercenaires colombiens provoque des remous bien au-delà de l’île d’Hispaniola. Une enquête complexe et sensible a débuté, à laquelle participent les États-Unis appelés en renfort par le chef du gouvernement haïtien Claude Joseph. La situation politique, sociale et sécuritaire du pays le plus pauvre des Amériques est devenue, en l’espace d’une nuit peuplée d’intrigues, encore plus dramatique. Quel rôle délicat accepteront de jouer les États-Unis et les Nations Unies pour tenter d’éviter un basculement complet d’Haïti dans le chaos ?

Le 7 juillet 2021 se rajoutera à la longue liste de dates dramatiques de l’histoire tourmentée du petit pays des Caraïbes. Cette nuit là un commando d’une trentaine de mercenaires (au moins 26 Colombiens et trois Haïtiens, dont deux était résidents américains) ont attaqué le domicile du chef d’État Jovenel Moïse, l’ont torturé, abattu, et ont grièvement blessé sa femme qui est actuellement hospitalisée aux États-Unis. Peu de temps après la plupart des mercenaires étaient arrêtés, comme si leur fuite n’avait pas été organisée, ou plutôt comme s’ils avaient été piégés par les commanditaires. Selon les premiers éléments de l’enquête, l’affaire est extrêmement trouble et pourrait réserver bien des rebondissements avant de parvenir jusqu’aux organisateurs du magnicide.

Le gouvernement colombien a rapidement confirmé l’identité des Colombiens arrêtés, parmi eux un nombre important d’anciens militaires d’élite. Le ministère des Affaires étrangères a d’ailleurs demandé l’accès aux prisonniers et a exprimé ses inquiétudes quant à leur sécurité. L’équipe de sécurité de l’ancien président Moïse se trouve également sous le feu des critiques et des suspicions. Elle ne s’est apparemment pas opposée significativement à l’assaut, aucun membre de l’équipe n’a été blessé.

Pour ajouter à la confusion, on apprenait quatre jours à peine après l’assassinat l’arrestation d’un présumé commanditaire habité d’ambitions politiques, Christian Emmanuel Sanon, présenté comme un médecin vivant en Floride depuis vingt ans, mais arrivé en Haïti en juin dernier. Selon le chef de la police haïtienne, Sanon est un conspirateur qui a été en relation avec une entreprise de sécurité privée ayant employé les mercenaires colombiens. Les premières informations divulguées mentionnent l’entreprise CTU, « Counter Terrorism Unit Federal Academy », qui serait une société vénézuélienne basée en Floride.

Cependant, comme l’a écrit le quotidien espagnol El País ce 14 juillet, la résolution de l’affaire pourrait ne pas être si simple : « Trois politiciens haïtiens consultés ignoraient l’existence de Sanon et croient qu’il est impossible qu’il soit l’organisateur du magnicide sans la collaboration de sphères plus hautes ».

Le drame haïtien précède la mort de son président

Alors qu’au sommet de l’État haïtien les tensions se multiplient pour savoir qui remplira le vide politique et occupera la tête de l’État, le chef de gouvernement Claude Joseph refuse de céder aux pressions et a été en cela appuyé par les États-Unis. Toutefois, au-delà des intrigues méphitiques, la population haïtienne continue de souffrir le martyr.

Haïti est le pays le plus pauvre d’Amérique et ses 11,5 millions d’habitants craignent au quotidien pour leur vie. Un population écrasée par la misère et la violence d’une société maltraitée par les oligarques et les bandes de criminels qui ont mis la main sur une économie de survie. Ce qui fait dire à El País que « Haïti ne pleure pas son président », avant de décrire l’effroyable quotidien d’une population qui souffre catastrophe après catastrophe. Catastrophe naturelle bien sûr, avec les conséquences encore douloureuses du tremblement de terre de 2010 qui a entraîné la mort de 300.000 personnes. Mais aussi catastrophes politiques à répétition : en trente-cinq ans, vingt gouvernements se sont succédé, impuissants à améliorer le sort des Haïtiens, bien au contraire.

A la crise politique et humanitaire, à la faim, au chaos engendré par les bandes criminelles qui ont mis la main sur l’économie, est venue s’ajouter l’épidémie de Covid-19. Le petit pays est durement touché, comme l’ensemble du continent américain, et il est le seul au monde à n’avoir vacciné aucun de ses concitoyens (lire Le Monde).

Un appel à l’aide lancé à des États-Unis embarrassés

Face à la crainte de voir le pays sombrer totalement dans le chaos, les autorités locales ont demandé dès le 9 juillet l’aide de l’Onu et des États-Unis, notamment l’envoi de troupes afin de protéger ports, aéroports, installations pétrolières et autres points stratégiques. Dimanche dernier des représentants du gouvernement américain et des enquêteurs se sont rendus dans la capitale Port-au-Prince. « La délégation américaine a examiné la sécurité des infrastructures essentielles avec des responsables du gouvernement haïtien et a rencontré la police nationale haïtienne », indique un communiqué de la Maison Blanche. «Le peuple de Haïti mérite la paix et la sécurité » et « les dirigeants politiques doivent s’unir » a en outre déclaré le président américain Joe Biden.

Cependant, malgré l’appel à l’aide, le déploiement de troupes américaines n’est à ce jour ni acquis ni exclu, mais « en cours d’analyse » selon la porte-parole de la Maison Blanche. Ce déploiement est considéré comme très délicat et risque de provoquer la colère de la population. Comme l’analyse RFI, «Joe Biden est pris en tenaille entre deux exigences : il veut éviter d’envoyer des militaires américains sur place, mais craint une arrivée massive de réfugiés haïtiens sur le territoire américain ». L’ambassade américaine en Haïti a encouragé le gouvernement et l’opposition au dialogue afin de parvenir à l’organisation d’élections avant la fin de l’année.

Interrogé par RFI, l’universitaire Robert Fatton, spécialiste d’Haïti, redoute la tenue d’élection trop rapides et bâclées ( « Haïti: « Organiser des élections maintenant, ce serait de la folie » ») : « C’est véritablement de la folie de tenir des élections dans le contexte actuel. Au-delà de la crise que connaît Haïti, l’insécurité liée à la présence des gangs dans les villes, notamment à Port-au-Prince, et l’absence d’appareil bureaucratique libre et démocratique, ne permet pas d’organiser des élections légitimes. Avoir des élections maintenant entraînerait une crise profonde car toute personne élue serait perçue comme illégitime. »

Gaëtan Mortier

Crédit photo : Rency Inso Michel (licence Creative Commons)

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