Gazoduc Nord Stream 2 : un sauvetage polémique

Gazoduc Nord Stream 2 : un sauvetage polémique

Le projet de gazoduc Nord Stream 2 était donné pour mort, sans pour autant être enterré… Il vient d’être réanimé. Reliant la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, le pipeline avait buté contre l’opposition farouche de Donald Trump, tandis que l’Ukraine et un certain nombre de pays d’Europe de l’Est n’en voulaient surtout pas. Bien qu’il n’y était pas favorable non plus, Joe Biden a changé d’avis contre toute attente. Les États-Unis et l’Allemagne ont en effet trouvé un accord le 21 juillet dernier, au grand bénéfice de cette dernière.

Malgré des oppositions au projet à l’intérieur de ses frontières, il s’agit bien d’une victoire pour Angela Merkel, et bien entendu pour la Russie. Celle-ci augmentera son approvisionnement en gaz vers de l’Allemagne – et plus largement l’Europe – en se ménageant la possibilité de contourner l’Ukraine, route traditionnelle du gaz russe.

Le construction du pipeline sous-marin, long de 1200 kilomètres, était achevée à 98 % en 2019 avant la suspension des travaux sous la pression de sanctions extraterritoriales américaines. De nombreuses entreprises européennes avaient alors renoncé à leur participation au projet. Pour les États-Unis, il était hors de question de permettre à la Russie et à Gazprom de gagner de nouvelles parts sur le marché européen de l’énergie.

Pourtant, à la fin du mois de mai, le président américain Biden levait les sanctions controversées et ouvrait la voie à un changement de cap. La volonté de se concilier l’appui futur de l’Allemagne sur d’autres dossiers géopolitiques a été plus forte. Si la motivation américaine est plutôt politique, la victoire diplomatique allemande a plutôt des visées économiques, « au risque de fragiliser l’unité des Vingt-Sept et la crédibilité de la diplomatie européenne vis-à-vis de la Russie », écrit Le Monde.

L’Ukraine au cœur des enjeux et des tensions

« C’est une bonne avancée, qui a exigé une volonté de compromis de la part des deux parties », a réagi la chancelière allemande Merkel. Et d’ajouter : « Pour nous, l’Ukraine est et restera un pays de transit même si Nord Stream 2 est achevé ». Les États-Unis et l’Allemagne ont promis de veiller à ce que la Russie ne se serve pas de l’énergie pour affaiblir davantage sa proie ukrainienne. Le communiqué commun prévient : « Si la Russie devait tenter d’utiliser l’énergie comme une arme ou commettre d’autres actes agressifs à l’égard de l’Ukraine, l’Allemagne prendra des mesures au niveau national, et fera pression pour des mesures efficaces au niveau européen, y compris des sanctions, pour limiter les capacités d’exportation russes vers l’Europe dans le secteur énergétique. » Un compromis visant aussi à pousser Gazprom à renouveler son contrat de livraison via l’Ukraine, qui expirera en 2024.

Un volet secondaire fait partie de l’accord entre Merkel et Biden, décrypté pour RFI par Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste des questions énergétiques : « Dans cet accord, il est question entre autres d’aides financières qui pourraient aller vers les projets de transition énergétique en Ukraine. Rien de nouveau, puisqu’il s’agit d’investissements qui étaient déjà promis à ce pays par les Européens. Donc, en fait, on recycle des promesses. »

Inquiétudes et frustration en Europe centrale

L’annonce de la reprise des travaux et de l’achèvement dans les prochains mois de Nord Stream 2 a provoqué colère et inquiétudes en Ukraine. Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, a dit regretter que la sécurité de son pays ait été sacrifiée au profit de la Russie. Il aura l’occasion d’en parler lors d’une discussion « franche et sérieuse » avec Biden qu’il rencontrera fin août aux États-Unis. Depuis l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014, et la poursuite des menaces sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ce pays est toujours à la recherche angoissée de gages de soutien de la part des États-Unis.

Inquiétudes et frustrations ne sont pas moindres du côté de la Pologne, de la Slovaquie et des pays baltes. « Une telle décision crée de nouvelles menaces pour l’Ukraine et l’Europe centrale, sur les plans politique, militaire et énergétique » ont déclaré dans un communiqué commun les ministres des Affaires étrangères polonais et ukrainien. Sans oublier que la Pologne bénéficie aussi des frais de transit du gaz russe, bien que dans une bien moindre mesure par rapport à l’Ukraine. Plus globalement le renforcement de l’influence russe en Europe suscite des inquiétudes.

En Allemagne le parti d’Angela Merkel, la CDU, est divisé à ce sujet. Pour un député influent, Norbert Rottgen, la mise en activité de Nord Stream 2 « serait la confirmation finale pour Vladimir Poutine qu’il poursuit exactement la bonne politique, parce que l’Occident ne fait rien ». Comme l’analysent des experts dans un article du Figaro, le gazoduc sera un vecteur d’influence géopolitique russe en Europe et un vecteur d’influence économique dans les milieux d’affaire allemands. Aussi, tout ce qui divise l’Europe, ou plus largement les alliés occidentaux, ne peut que réjouir Vladimir Poutine.

Gaëtan Mortier

Photo : Pjotr Mahhonin (licence Creative Commons)

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