De sanctions en représailles entre la Biélorussie et l’Union européenne

De sanctions en représailles entre la Biélorussie et l’Union européenne

La crise entre la Biélorussie et l’Union européenne ne cesse de s’approfondir. En réponse aux sanctions occidentales, le président contesté Alexandre Loukachenko a décidé de manipuler les flux migratoires pour mettre l’Europe sous pression. La semaine dernière, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne ont ainsi dénoncé auprès de l’Onu une forme d’« attaque hybride ». Soit l’utilisation de la misère comme piètre recours d’un régime autoritaire soutenu à bout de bras par la Russie.

Depuis les élections présidentielles frauduleuses d’août 2020, la Biélorussie de l’autocrate Loukachenko est plus que jamais dans la tourmente. Si la Russie, pilier de la stabilité du régime, a immédiatement avalisé les résultats, ce n‘est pas le cas de l’Union européenne qui n’a pas reconnu une élection propre en ce pays depuis… 1996. L’opposition au cinquième mandat de Loukachenko semble plus active et plus forte que par le passé. Elle prend aussi davantage de lumière à mesure que la répression du gouvernement se renforce outrageusement.

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, 35.000 arrestations ont eu lieu, 600 prisonniers politiques ont été dénombrés, médias et ONG sont pourchassés. Même en exil l’opposition est menacée, comme l’illustre le cas d’un avion de Ryanair détourné en mai dernier afin d’arrêter un journaliste biélorusse. Les récents Jeux Olympiques en ont donné une autre illustration : l’athlète Kristina Timanovskaïa dit avoir été victime d’une tentative de rapatriement forcé après avoir critiqué des responsables sportifs biélorusses. Elle a dû s’exiler en Pologne, comme d’autres se sont exilés en Ukraine ou en Lituanie, sans pour autant être à l’abri de pressions ou d’un « suicide » (« Mort suspecte de l’opposant biélorusse Vitali Chichov », Le Monde). En réaction le président ukrainien Volodymyr Zelensky ordonnait la mise sous protection des militants biélorusses exilés dans son pays.

Un régime sanctionné d’un côté, soutenu à bout de bras de l’autre

Une première série de sanctions européenne avait été décidée en fin d’année 2020, renforcées à deux reprises cette année. Elles sont à la fois individuelles et économiques : une liste noire de 166 personnes a été établie et les secteurs clefs de la potasse, du pétrole et du tabac ont été frappés. Des sanctions qui, selon les experts, n’auront d’effets qu’à moyen terme. Celles prises par les États-Unis sont plus gênantes car elles touchent les entreprises qui coopèrent avec certaines sociétés biélorusses, et ce dans les secteurs clefs de la pétrochimie et des machines-outils.

Joe Biden a en effet décidé début août de renforcer des sanctions américaines en vigueur depuis 2006. Dans ce sillage le Royaume-Uni et le Canada ont fait de même. Au niveau politique, l’opposante en exil Svetlana Tikhanovskaïa, qui assure avoir remporté les élections de 2020, a été reçue en tant que représentante de son pays par de nombreux dirigeants occidentaux, dont le président américain.

Dans un contexte social et économique complexe en Biélorussie, l’aide de la Russie est essentielle pour la survie du régime. Comme l’illustre un article du numéro de Juillet-Août de Diplomatie (« Biélorussie : crise postélectorale et avenir des relations avec la Russie et l’Union européenne »), le soutien russe est à la fois politique, économique, sécuritaire et médiatique. « La société biélorusse est abreuvée par le champ médiatique russe » écrivent les auteurs. Sur le plan économique, le soutien de la Fédération de Russie a été estimé à 1.5 milliard de dollars en un an. La Russie est le principal créancier de la Biélorussie, sa seule source de capitaux, tout comme son robinet en pétrole et en gaz. Sans les aides russes diverses, « la probabilité d’un défaut de paiement serait élevée, alors que sans son aspect politique, la probabilité qu’une crise politique majeure éclate deviendrait trop importante ». Côté sécurité, les Russes apportent aussi leur garantie, récemment avec la formation d’une réserve de troupes antiémeute.

Le chantage aux migrants, une « attaque hybride »

Au-delà d’une agressivité verbale caractéristique des dictatures en difficulté et à la défensive, Loukachenko a utilisé ces derniers mois les migrants comme une « arme » contre ses voisins européens. Il a en effet annoncé fin mai qu’il laisserait passer les migrants qui souhaitent se rendre dans l’UE. Toutefois, selon la Pologne, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, ce serait pire que cela : l’organisation active d’un flux migratoire de populations du Moyen-Orient. Un moyen de chantage dénoncé comme tel par Bruxelles. Les quatre pays ciblés ont ainsi dénoncé dans une déclaration commune un afflux « planifié et systématiquement organisé » qu’ils n’ont pas hésité à qualifier d’« attaque hybride ».

« Il est grand temps de porter la question du mauvais traitement infligé aux migrants sur le territoire bélarusse, à l’attention des Nations unies, notamment du Conseil de sécurité des Nations unies » peut-on lire dans la déclaration. Tout en accordant la protection nécessaire aux réfugiés ayant traversé la frontière biélorusse, les quatre pays ont demandé de « nouvelles mesures restrictives de la part de l’UE pour empêcher toute nouvelle immigration illégale organisée par l’État bélarusse ».

Le 23 août dernier le ministre polonais de la Défense annonçait la construction d’une clôture le long de la frontière commune d’environ 400 km, « à l’instar de celle qui a fait ses preuves à la frontière serbo-hongroise ». Il a également annoncé le doublement des effectifs militaires dédiés à la surveillance frontalière, ceux-ci devant atteindre prochainement les 2000 soldats.

Irritée par ce chantage migratoire, l’UE prépare en représailles des sanctions économiques plus fortes. Actuellement à l’étude, elles seront examinées et pourraient être adoptées lors de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE le 21 septembre prochain. L’opposition civile en Biélorussie comme les pays occidentaux sont plus que jamais chauffés par les abus de Loukachenko, comme l’illustre la toute récente polémique sur les prêts du Fonds monétaire international. Soit un milliard de dollars pour lutter contre les effets économiques de la pandémie de Covid-19 qui pourraient être gelés afin de ne pas contrecarrer les premiers effets des sanctions.

Gaëtan Mortier

Crédit photo : Serge Serebro (licence Creative Commons)

 

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