Le Mali malmène ses alliés contre le terrorisme

Le Mali malmène ses alliés contre le terrorisme

La lutte contre le terrorisme au Sahel entre progressivement dans une nouvelle phase, avec une évolution de la stratégie des forces internationales en présence. C’est d’abord le cas des troupes françaises qui, pour des raisons stratégiques, vont être transférées au Niger voisin d’ici 2023. Mais, alors qu’un 52e soldat français mourait au combat en fin de semaine dernière, le Premier ministre malien dénonçait à la tribune des Nations Unies un soit-disant « abandon français ». Des déclarations qui font scandale à l’heure où son gouvernement provisoire issu d’un coup d’État négocie avec des mercenaires russes une intervention sur le sol malien.

Forte de 5200 hommes, l’opération française Barkhane fait suite à l’opération Serval qui en janvier 2013 sauva le Mali de la déroute face à une offensive djihadiste. En juillet dernier le président français Emmanuel Macron annonçait une nécessaire réorganisation afin, entre autres, de réduire les « empreintes militaires » dans le nord du pays. Une nouvelle stratégie qui n’affecte en rien la détermination de la France dans sa lutte solidaire avec le peuple malien, comme l’a exprimé la ministre des Armées Florence Parly. Si le nombre de soldats devrait passer à 2500 ou 3000 en 2023, la France compte sur l’aide accrue de ses partenaires européens afin de mieux lutter contre l’extension de la menace terroriste.

Les raisons profondes de la crise malienne

En plus des 15.000 casques bleus de la Minusma (mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali), treize pays européens coopèrent depuis 2020 au moyen de forces spéciales regroupées au sein de la Task Force « Takuba ». L’Union européenne assure également la formation de troupes maliennes grâce à 700 soldats. Il s’agit d’aider ce que beaucoup considèrent comme un « État failli » ayant subi de nombreux revers sanglants face aux groupes terroristes. Des revers qui se transformeraient en débâcle tragique si l’aide étrangère n’était pas si massive et déterminée.

A l’image de ses institutions, l’armée malienne est plongée dans une crise profonde, une armée dont les hommes de base souffrent de la corruption d’élites militaires et politiques jouissant d’immenses détournements de fonds (lire par exemple « La dangereuse frustration de l’armée malienne » par le Figaro ; ou encore dans Le Monde : « Au Mali, « le système est infesté par la corruption et les citoyens y sont habitués »). Aussi, comme le précise un opposant et militant anti-corruption malien interviewé par Libération, Clément Dembele : « Le Mali n’est pas un pays pauvre. Le Mali est pauvrement géré. » De plus l’instabilité politique, la succession de coups d’État entrave foncièrement le pays. « En soixante ans d’indépendance, un seul président, Alpha Oumar Konaré, aura quitté le pouvoir de son propre chef, en 2002 », rappelle un autre article du Figaro.

Autant dire que depuis le dernier coup d’État d’août 2020, qui a porté le colonel Goïta au pouvoir, la confiance a été malmenée entre le pouvoir malien et les pays africains comme européens qui luttent pour un Sahel délivré de la menace terroriste. Un combat qui cependant, aux dires du Premier ministre malien intérimaire, Choguel Maïga, n’est pas satisfaisant.

La volonté russe de percer en Afrique

« La nouvelle situation née de la fin de l’opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires », a déclaré le Premier ministre provisoire, profitant de la tribune offerte samedi dernier par l’assemblée générale de l’Onu. Il a également réclamé une « posture plus offensive sur le terrain » des troupes des Nations Unies, méprisant ainsi tous les efforts et sacrifices consentis par ses partenaires.

Des considérations qui font référence à une éventuelle intervention des mercenaires russes de la société paramilitaire Wagner, généralement considérée comme « l’armée de l’ombre du Kremlin ». Des troupes qui sont intervenues en Ukraine, en Syrie, en Libye, à Madagascar ou encore en Centrafrique. Comme l’explique Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur à l’Institut Thomas More, interrogé sur LCI : « La Russie a des ambitions et cherche à exploiter des opportunités en Afrique, il y a une véritable volonté de percer en Afrique, de regagner le terrain perdu par rapport à l’époque de l’URSS ». Rappelons au passage que le Premier ministre malien Maïga a fait dix ans d’études dans l’ex-URSS et que la ministre de la Défense a lui aussi été formé en Russie.

Des accusations « inacceptables » et « indécentes »

Les velléités puis les déclarations de l’actuel gouvernement malien ont entraîné une réaction en deux temps de la ministre française des Armées Parly. Vendredi dernier elle a d’abord souligné que l’implication et le volontarisme de la communauté internationale « ne peuvent cohabiter » avec le recours à ces mercenaires. Quant au ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, il mettait garde contre « les conséquences graves d’une implication du groupe Wagner », après avoir rencontré son homologue russe Sergueï Lavrov en marge de la réunion des Nations Unies.

Dans un second temps, après la prise de parole polémique du Premier ministre malien, madame Parly a fermement rejeté des accusations « inacceptables » et « indécentes » qui reviennent à « s’essuyer les pieds sur le sang des soldats français ». « Il n’y a pas de désengagement français, a-t-elle poursuivi. (…) La transformation de notre dispositif militaire au Sahel ne constitue ni un départ du Mali, ni une décision unilatérale et il est faux d’affirmer le contraire ». La suite des événements promet d’être tendue, sur le terrain militaire comme dans les arcanes du pouvoir.

Gaëtan Mortier

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