Les chefs d’État du G20 ont approuvé ce week-end à Rome un accord qualifié d’historique sur une taxation minimum des multinationales à hauteur de 15 %. Ils ont ainsi confirmé une décision négociée sous l’égide de l’OCDE à laquelle se sont ralliés pas moins de 136 pays, qui ensemble totalisent 90 % du PIB mondial. Une longue négociation qui a abouti grâce à quelques compromis avec des pays initialement rétifs. Et qui en laissent certains sur le leur faim d’une taxation plus ambitieuse ou d’une meilleure répartition de ses bénéfices.
Le G20 réuni à Rome a abordé un certain nombre de dossiers internationaux (climat, aide aux pays en voie de développement, vaccination, etc. Voir le communiqué final) et mis sur orbite une ambition portée de longue date par la France. L’idée d’un impôt mondial minimal a fini par aboutir, une taxe visant surtout les géants du numérique qui ont amplement profité de pratiques d’optimisation fiscale. Si cela ne signifie pas la fin des paradis fiscaux, il existe tout de même des raisons de se réjouir. Le secrétaire général de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), Mathias Cormann, a assuré qu’avec cet accord le système international de taxation des entreprises deviendrait “plus juste et plus efficace”. La réforme est prévue pour entrer en vigueur début 2023.
La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen s’est quant à elle félicitée de nouvelles règles fiscales qui vont « mettre un terme à la course au moins-disant en matière d’imposition de sociétés ». Le président français Emmanuel Macron a tweeté sa satisfaction de voir ce projet ambitieux aboutir : « Depuis quatre ans, je me bats pour mettre en œuvre une taxation internationale d’au moins 15% pour les entreprises multinationales. Ce soir, nous y sommes ! ».
Une poignée de réfractaires et des ralliés satisfaits
Cela fait quatre années que des pourparlers ont progressivement rapproché des points de vue très éloignés. Quelques rares récalcitrants ont tout de même choisi de rester en marge : le Pakistan, le Nigeria, le Kenya et le Sri Lanka n’ont pas signé.
D’autres se sont montrés coriaces lors des négociations, et les opposants initiaux ont finalement rallié l’accord, parfois à la dernière heure. Ce fut ainsi le cas en Europe de la Hongrie, de l’Estonie et de l’Irlande (qui héberge toujours Facebook, Google et Apple), pays de choix pour les douceurs fiscales. L’Irlande affichait en effet un taux d’imposition de 12,5 %, tandis que la Hongrie tirait satisfaction d’un taux étique à 9 %. Afin de faire partie du vaste groupe de signataires ces trois pays ont négocié des exemptions afin de ne pas pénaliser leur économie. Il ont en autres obtenu que ce taux de 15 % ne soit pas réévaluable à la hausse au cours des prochaines années, ce qui était initialement envisagé.
Les gouvernement des pays ralliés se sont réjouis comme les autres de l’accord. « C’est une décision importante pour notre politique industrielle, notre avenir (…). Il y aura des conséquences mais il y a beaucoup d’opportunités » a souligné le ministre des Finances irlandais. De même la Première Ministre estonienne a déclaré, en mentionnant une des exemptions négociées : « Cela ne changera rien pour la plupart des opérateurs économiques estoniens et concernera uniquement les filiales de grandes multinationales ».
150 milliards de dollars de recettes en plus
Selon l’OCDE, l’harmonisation de la taxation devrait dégager pas moins de 150 milliards de dollars en recettes supplémentaires. Sont visées par l’accord des entreprises – du numérique ou d’autres secteurs – qui récoltent des bénéfices dans le monde entier mais qui ne paient des impôts que dans le pays où elle ont installé leur siège. Les géants américains mais aussi chinois des technologies numériques sont les principaux visés.
Le nouveau mécanisme est fondé sur deux piliers afin d’aboutir à une redistribution plus juste des droits d’imposition et de leurs bénéfices. Le pilier 1 prévoit que les multinationales réalisant plus de 20 milliards de chiffre d’affaire, et dont la rentabilité dépasse les 10 %, soient imposées là où elles réalisent leurs ventes. Et ce à travers un mécanisme de redistribution des bénéfices fiscaux. Pour que s’applique la mesure, l’entreprise concernée doit réaliser au moins un million de chiffre d’affaires dans un État, ou bien 250.000 si le PIB de l’État est inférieur à 40 milliards d’euros.
Le pilier 2 « complète le dispositif en imposant un impôt minimum à l’échelle mondiale. En clair, quel que soit l’endroit où un profit sera localisé, il sera taxé à 15 % » (Le Figaro). Il concerne les multinationales qui génèrent au moins 750 millions de chiffre d’affaires.
La réforme à 15 %, loin d’une révolution à 25 %
15 % de taxation minimale, c’est mieux que trois fois rien… mais ça aurait pu être sensiblement plus défendent certains. Beaucoup de pays ont en effet un taux fixé autour de 22 %, une différence substantielle qui pourrait ne pas suffire pour mettre fin à la concurrence fiscale. D’un autre côté, passer de 12 % à 15 % pour certains pays peut être considéré comme trop peu contraignant.
Pour Ricardo Moro, représentant des ONG au G20, cité par RFI : « Les pays que nous appelons paradis fiscaux utilisent normalement un pourcentage de 12 %. Donc, passer à 15 %, c’est presque rien pour les paradis fiscaux qui le font déjà. Si on veut être polémique, on pourrait dire que l’on a transformé tout le monde en paradis fiscaux. »
L’Argentine plaide par exemple pour un taux à 21 % à minima, tandis qu’Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) dénigre le bénéfice à court terme du modeste 15 % et défend une augmentation significative du taux à 25 %. Soit l’ambition d’une avancée majeure qui n’aurait pas permis un compromis avec les pays européens ralliés qu’il était essentiel d’intégrer à l’accord. D’autres critiques venues de la gauche dénoncent un accord qui serait porteur d‘inégalités entre pays riches et pays en voie de développement. D’après l’ONG Oxfam, les pays les plus pauvres récupéreront moins de 3 % de recettes fiscales supplémentaires.
Qu’elle soit satisfaisante ou insuffisante, reste durant 2022 à ratifier cette réforme au sein de chaque pays signataire. « Désormais nous devons travailler de façon rapide et diligente pour assurer l’implémentation efficace de cette grande réforme » a ajouté le secrétaire général de l’OCDE. En ce qui concerne l’Union européenne, l’impôt minimum devra être confirmé par une directive nécessitant l’unanimité des pays membres. Il reviendra en partie à la France de gérer ce gros dossier, elle qui prendra au 1e janvier 2022 la présidence tournante du Conseil de l’UE, et ce jusqu’au 31 juin de la même année.
Gaëtan Mortier
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