De lourdes sanctions ont été décrétées dimanche dernier contre le Mali par la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Depuis le coup d’État d’août 2020, le pays se trouve entre les mains d’une junte militaire qui s’était engagée à organiser des élections début 2022. Avant d’en repousser drastiquement l’échéance. Inacceptable pour l’organisation africaine qui a décidé de frapper fort. Dans l’obscurité toujours, les militaires maliens jouent désormais la carte de l’alliance avec les mercenaires russes du groupe Wagner.
Le sommet extraordinaire de la Cedeao qui s’est tenu dimanche 9 décembre à Accra, au Ghana, a accouché de mesures exceptionnelles contre le Mali, dans la foulée de décisions prises par l’Union monétaire ouest-africaine. Des sanctions inédites isolant le pays et faisant peser un lourd poids sur l’économie du pays et le putschiste de colonel Assimi Goïta. La junte a poussé le bouchon trop loin en souhaitant se ménager la possibilité d’organiser des élections présidentielle et législatives… fin 2026. Soit l’équivalent d’un mandat, ni plus ni moins. C’est gonflé, trop pour les voisins de la région, et en conséquence la note présentée s’avère salée.
La Cedeao a en effet décidé de geler les avoirs du Mali à la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, de stopper toute aide financière et de suspendre toutes les transactions commerciales. A l’exception de celles concernant les biens de consommation essentiels, les produits pétroliers et médicaux. Mais ce n’est pas tout : les frontières terrestres et aériennes sont désormais fermées et les ambassadeurs sont retirés de Bamako. Les sanctions ont pris effet immédiatement.
Hier mardi, la France et les États-Unis ont déclaré soutenir la décision de la Cedeao. C’est également le cas de l’Union européenne qui compte prendre des mesures additionnelles contre les dirigeants maliens qui font obstacle à la transition démocratique.
Quand des putschistes jugent des sanctions « illégales et illégitimes »
« Nous aimerions avoir un espace démocratique en Afrique occidentale, a affirmé le ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cedeao. Nous ne pouvons tolérer cette histoire d’un coup d’État qui se prolonge durant cinq ou six ans ». Les sanctions seront levées dès que les autorités maliennes présenteront un calendrier « acceptable » pour les élections et des éléments concrets de mise en œuvre.
Le porte-parole du gouvernement malien illégitime a dénoncé, non sans cynisme, des « sanctions illégales et illégitimes ». Il s’est dit préoccupé par le sort des populations éprouvées et a accusé les organismes régionaux de « se laisser instrumentaliser par des puissances extra-régionales aux desseins inavoués ». La volonté des militaire est translucide : monter la population contre la France, malgré les efforts et sacrifices de ses soldats pour lutter contre le terrorisme islamique. Le « président de transition » Goïta a en outre appelé la population à manifester vendredi prochain contre des sanctions considérées comme « inhumaines ».
Les sanctions « font craindre des conséquences désastreuses sur le pays » lit-on dans un édito de La Croix. « Si les mesures économiques font leur effet, les militaires n’auront pas le choix. Il faudra payer les salaires (…), les militaires seront dans une situation difficile. Ils seront obligés de revenir à de meilleur sentiment et d’accepter les propositions de la Cedeao », explique à la BBC Ibrahima Kane, spécialiste des questions politiques en Afrique de l’Ouest.
Nier Wagner : une musique bien connue
Les militaires putschistes se plaignent des conséquences de leur inconséquence, qui comprend également le champ des armes. Car il n’est plus possible aujourd’hui de nier décemment leur recours aux fameux mercenaires russes de la compagnie Wagner. « Les militaires maliens, leur vrai problème, c’est qu’ils préfèrent les palabres aux patrouilles, les guérillas d’antichambre aux accrochages armés. Ils sont nuls pour gouverner, mais c’est mieux que guerroyer », assène l’édito international d’Europe 1 du 10 janvier.
Actuellement 300 à 400 mercenaires russes seraient déployés dans le centre du pays, là où les forces des Français et de leurs alliés européens n’interviennent pas. La presse internationale souligne également leur présence au nord, dans une base de Tombouctou. Des forces russes qui ont expérimenté en début de mois leur premier accrochage contre des djihadistes. Un mercenaire aurait été tué et deux autres blessés après que leur véhicule ait sauté sur une mine.
Mardi, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a accusé la Russie de mentir au sujet du statut de la force Wagner. « Lorsqu’on interroge nos collègues russes sur Wagner, ils déclarent ne pas en connaître l’existence. Quand il s’agit de mercenaires qui sont d’anciens combattants russes, qui ont des armes russes, qui sont transportés par des avions russes, il serait quand même étonnant que les autorités russes ne le sachent pas. », a-t-il déclaré.
Interviewé par DW.com, Nicolas Normand, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), analyse la situation actuelle : « Si ces mercenaires opèrent dans des zones dans lesquelles ni la Minusma, ni Barkhane, ni le G5 Sahel, ni Takuba n’opèrent, à la limite ça ne posera pas de problèmes particuliers. Mais s’il y avait cohabitation sur les mêmes terrains, oui, il y aurait un problème. Je crois que la France a dit clairement qu’elle ne voulait pas de cohabitation. Elle ne veut pas partager la lutte anti-djihadiste avec des mercenaires qui échappent à toutes les lois de la guerre et au droit international ».
Gaëtan Mortier
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