Neutralité sur le conflit en Ukraine : le Kazakhstan réaffirme son indépendance

Neutralité sur le conflit en Ukraine : le Kazakhstan réaffirme son indépendance

La résolution de l’Assemblée générale de l’ONU le 2 mars dernier a mis en évidence l’isolement international de la Russie dans son aventure guerrière en Ukraine. N’ayant bénéficié que de 5 soutiens mineurs (Biélorussie, Syrie, Corée du Nord et Érythrée), elle ne peut pas se targuer de pouvoir compter sur les pays de sa sphère d’influence directe. Toutes les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale se sont abstenues de prendre position en opposant leur neutralité lors du vote. Alors même qu’elle venait de bénéficier de l’aide militaire russe pendant les émeutes sanglantes de janvier 2022, la république du Kazakhstan renoue avec le pragmatisme de sa politique multivectorielle.

Des intérêts convergents

La frontière terrestre de 6 846 km de steppes – la plus longue du monde sans interruption – entre la Russie et le Kazakhstan n’a rien d’un détail. La perméabilité de ces immenses plaines fait de la bonne entente entre les deux pays un sujet de préoccupation majeur. Ainsi les deux voisins ont-ils développé des liens économiques, politiques et culturels étroits. Le Kazakhstan est partie prenante de toutes les organisations régionales initiées par Moscou comme l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai) et l’UEEA (Union économique eurasiatique) et la Russie est son premier partenaire commercial (1er fournisseur et 3ème client), un territoire incontournable pour acheminer les matières premières du Kazakhstan (gaz, pétrole, uranium…) vers les pays occidentaux. À cela s’ajoute une population de 4 millions de slaves dont la plupart vit dans les régions bordant la frontière avec la Russie.

La force de leurs relations bilatérales fut patente lors des manifestations de janvier 2022 et qui ont amené le président Kassym-Jomart Tokayev à faire appel le 5 janvier à l’article 4 du Traité de sécurité collective. L’opération fut une réussite pour Moscou et pour Nur-Sultan dans la mesure où elle crédibilisa d’une part l’alliance militaire de l’OTSC et renforça d’autre part le gouvernement de Tokayev qui est sorti grand vainqueur de cette crise. La surprise que constitua cet engagement fut pour la Russie le moyen d’envoyer un message fort : elle reste une puissance avec laquelle il faut compter dans l’espace post-soviétique et demeure la seule puissance garante de la sécurité régionale.

La politique d’indépendance du Kazakhstan

Néanmoins, la politique étrangère du Kazakhstan est menée avec pragmatisme pour s’affranchir de l’enclavement territorial du pays sans subir le poids politique et économique des deux géants régionaux que sont la Chine et la Russie. Dans cet esprit, le président Nazerbaïev – qui a dirigé le Kazakhstan de 1991 à 2019 – s’est attaché à la promotion d’une politique d’indépendance qui passe par la multiplicité des partenaires. C’est dans ces conditions que l’Union européenne est devenue le premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger au Kazakhstan (40% des échanges et 40% des investissements).

Le projet chinois des nouvelles routes de la soie a aussi permis au Kazakhstan de développer ses axes de transport est-ouest à partir du port sec de Khorgos jusqu’à la mer Caspienne. Jusque-là, toutes les infrastructures de transport construites à l’époque soviétique étaient dirigées du sud vers le nord pour ravitailler la partie occidentale de l’URSS avec les matières premières kazakhstanaises. La construction de chemins de fer vers l’Iran ou de pipelines à travers la mer Caspienne visent aussi à échapper aux seules routes russes et à toute dépendance stratégique handicapante pour les intérêts nationaux.

Dans l’optique d’une valorisation de la culture nationale, les deux présidents successifs ont mené depuis l’indépendance une politique de kazakhisation de la société qui passe par la promotion de la langue kazakhe à l’école et dans les administrations. Si le russe reste l’une des deux langues officielles du pays, la maîtrise du kazakh est devenue indispensable pour accéder aux postes à responsabilité. Sa latinisation en 2018 au détriment de l’alphabet cyrillique témoigne de ce long processus d’émancipation.

Les retombées de la guerre en Ukraine

La neutralité du Kazakhstan lors du vote de l’ONU condamnant la guerre en Ukraine traduit fidèlement le positionnement d’un pays cherchant constamment à maintenir un équilibre entre l’affirmation de son indépendance et une bonne entente indispensable avec la Russie.

Dans un contexte de sortie de crise après les émeutes de janvier, et dans l’optique de rassurer les investisseurs occidentaux quant à la stabilité intérieure du pays, le gouvernement kazakhstanais a tout intérêt à maintenir ses distances avec la Russie qui polarise l’attention des mêmes médias occidentaux qui ont condamné la vigueur des opérations antiterroristes contre les émeutiers de janvier. De la même manière, l’autorisation le 5 mars d’une manifestation pro-Ukraine de 2 000 personnes à Almaty, la capitale économique, est un gage de démocratisation présenté aux observateurs internationaux.

Si l’embargo occidental contre la Russie constitue un risque majeur pour les routes commerciales eurasiatiques qui acheminent les marchandises kazakhstanaises vers l’Occident, l’enlisement des forces armées russes en Ukraine et l’affaiblissement de la Russie dans son voisinage direct pourraient aussi être saisis par le Kazakhstan comme l’opportunité de porter plus haute la voix de son indépendance stratégique.

 

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