L’invasion de l’Ukraine par la Russie a de toute évidence renforcé les craintes de Taïwan. Les Taïwanais tremblent et se préparent face aux velléités chinoises de conquête de l’île. La Chine refuse de condamner l’agression russe et a adopté un faux-semblant de position « équilibrée ». Car elle aura besoin du soutien de la Russie pour une action militaire qu’elle envisage et évalue de longue date.
La guerre en Ukraine a fait tourner de nombreux regards inquiets vers Taïwan, territoire considéré par Pékin comme rebelle. L’île de 24 millions d’habitants, située à 180 km des côtes chinoises, ressent plus que jamais la nécessité de se préparer à un conflit très dur. Les deux parties observent de près les réactions internationales au martyr de l’Ukraine, notamment celle des États-Unis. Ces derniers ont vite souhaité rassurer Taïwan en y envoyant le 1e mars une délégation spécialiste des questions militaires et sécuritaires.
Comme l’écrit Alexis Bautzmann dans l’éditorial de Diplomatie de janvier-février 2022, Taïwan « a toujours été une source de fragilité géostratégique pour la sécurité de «l’Empire du Milieu ». Considérée par Pékin comme une forteresse maritime bloquant son expansion dans le Pacifique, l’île est devenue au fil des ans un enjeu géopolitique au centre des rivalités opposant les États-Unis et le Japon face à la Chine. » L’enjeu principal défendu par les démocraties étant la liberté de circulation maritime dans un espace essentiel au commerce international, et notamment l’approvisionnement énergétique du Japon comme de la Corée du Sud. Entre autres enjeux géo-économiques (Taïwan est la 20e économie mondiale) et idéologiques, aussi cruciaux les uns que les autres.
Taïwan, Ukraine : sous une menace similaire… mais dans un contexte différent
La Chine semble vouloir ne froisser excessivement personne, tout en avançant constamment ses pions. Si jamais elle soutenait ouvertement la Russie, ce serait mauvais pour le commerce et son image déjà très négative. Toutefois le pouvoir chinois ne cache pas non plus qu’il aura besoin du soutien de Moscou en cas d’invasion de Taïwan. La Russie a quant à elle déjà clairement affirmé que l’île faisait partie du territoire chinois, et valide entre les lignes l’option militaire. En parallèle, les opérations russes en Ukraine ennuient quelque peu Pékin qui préfère assurer lui-même le tempo, sans être mis dans l’embarras par les initiatives de ses rares « amis » ou alliés de circonstance.
Sentant la nervosité grimper parmi la population de l’île, la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen s’est voulue légèrement rassurante. Elle a défendu fin février qu’en « termes de facteurs géostratégiques, de géographie, et en raison de l’importance de notre rôle dans les chaînes d’approvisionnement internationales, les situations de Taïwan et de l’Ukraine sont fondamentalement différentes ». Assiéger et soumettre une île est autrement plus compliqué qu’envahir un voisin partageant une vaste frontière terrestre. Et cela entraînerait très probablement les États-Unis et certains de ses alliés dans la guerre. Quoiqu’il en soit, Tsai Ing-wen a déclaré avoir mis les troupes de l’île « en état de vigilance ». Ou plus probablement de vigilance accrue, car personne là-bas n’aurait l’idée de prendre la menace chinoise à la légère.
Les Taïwanais se préparent au pire, les Américains maintiennent le flou stratégique
« Les Taïwanais, raconte un reportage de RFI, multiplient les initiatives de soutien envers l’Ukraine. Avec en toile de fond, la crainte de subir un jour le même sort. » D’après des sondages, une large majorité de la population taïwanaise se dit prête à se battre pour défendre l’indépendance de son île. Les esprits se préparent au pire, d’autant que la pression de la Chine s’est grandement accrue ces deux dernières années.
Pékin ne cesse de renforcer la militarisation en mer méridionale de Chine et, en 2020, l’AFP a comptabilisé pas moins de 969 incursions d’avions de guerre dans la zone de défense aérienne de Taïwan, contre 380 en 2016. Le dernier trimestre 2021 a marqué un pic de ces incursions de chasseurs et de bombardiers à capacité nucléaire. Le 23 janvier de cette année, la Chine a envoyé 39 appareils dans cette zone, plus vaste que l’espace aérien strict. La pression sur l’île est continue tandis que les marines chinoise et américaine se jaugent et se surveillent en permanence dans le détroit de Taïwan.
Le président américain Joe Biden a réaffirmé à la mi-mars que « les États-Unis continuent de s’opposer à toute modification unilatérale du statu quo ». Dans un article intitulé « A Taïwan, la guerre en Ukraine ravive le spectre d’une invasion chinoise », un journaliste du Figaro écrit que « les États-Unis, tout en fournissant une assistance logistique et militaire, maintiennent le flou quant à leur attitude en cas d’invasion chinoise. » Une ambiguïté stratégique importante qui n’ a pas été utilisée par Biden face à la Russie avant le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine. Interviewé dans cet article, Yu-Jen Kuo, directeur de l’Institute for National Policy Research (Taïwan), rappelle :« Si la Chine perçoit la communauté internationale comme faible, réticente à prendre des mesures importantes, les dirigeants chinois pourraient s’imaginer que c’est le bon moment » pour mener l’assaut tant redouté.
Gaëtan Mortier
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