Justice européenne, la difficile harmonie

Justice européenne, la difficile harmonie

Véritable serpent de mer, l’harmonisation judiciaire européenne se heurte aux sensibilités et traditions nationales des pays de l’UE. Mais aussi, comme dans le cas de la Slovaquie, à des pratiques qui relèvent d’une instrumentalisation de la justice contraire aux standards en vigueur parmi les vingt-sept.

L’Europe n’avance-t-elle qu’en réaction aux crises qu’elle traverse ? L’Union européenne (UE) semble avoir, à la faveur de la guerre en Ukraine, enfin pris la mesure de l’urgence de se doter d’une défense commune crédible face à la Russie de Poutine. Mais il est un autre domaine régalien que les États-membres semblent encore peiner à détacher de leurs prérogatives nationales, c’est la justice. La justice européenne fait partie de ces grandes oubliées de la construction communautaire. Non sans que des avancées, indiscutables, puissent être mises au crédit des Européens en matière d’harmonisation judiciaire.

Des avancées concrètes mais dispersées

Ici encore, c’est la nécessité qui semble avoir fait loi. En termes de droit civil, par exemple, la libre circulation des personnes au sein de l’espace européen a entraîné la multiplication concomitante des litiges impliquant des citoyens de diverses nationalités : couples binationaux, familles dispersées aux quatre coins du continent, etc. Un caractère transnational qui affecte aussi, par exemple, le droit du commerce, lui aussi contraint de s’adapter à la hausse des litiges entre entreprises de différents pays. Moins politiquement sensibles que ceux ressortant du droit pénal, ces sujets néanmoins importants ont fait, depuis la fin des années 1960, l’objet d’une coopération judiciaire croissante entre les Etats membres de l’UE.

Mais c’est bien en matière de droit pénal, qui demeure pourtant l’une des prérogatives majeures des Etats-nations – a fortiori dans un contexte de mondialisation galopante –, que les progrès ont été les plus remarquables. On pense, évidemment, au mandat d’arrêt européen, sans doute le mécanisme de coopération judiciaire le plus représentatif de l’UE : attendre d’un Etat qu’il renvoie dans un autre pays un individu recherché, et ce sans qu’une demande spécifique ne lui soit adressée, représente un incroyable pas en avant. On pense, également, à la création du parquet européen qui, depuis 2020, dispose d’une compétence contraignante sur les autorités nationales – bien que la portée de cette compétence soit, il convient de le relever, limitée aux seules fraudes contre les intérêts financiers de l’UE.

Enfin, l’harmonisation des législations nationales des Etats membres en matière pénale représente à n’en pas douter l’un des principaux défis en termes de coopération judiciaire et pénale. Se heurtant à de considérables difficultés, ce chantier se traduit notamment par les efforts visant à rapprocher les définitions de certaines infractions entre Etats : terrorisme, trafic de stupéfiants, traite des êtres humains, etc. Autant d’avancées à la fois majeures et timides, qui témoignent du caractère éminemment sensible de ces questions au sein de l’UE comme de l’aspect intrinsèquement sui generis de la construction européenne.

 

Quand la justice entrave l’harmonisation judiciaire européenne en Slovaquie

Cette poussive marche en avant vers l’harmonisation judiciaire pourrait, cependant, être entravée par un certain nombre d’obstacles dépassant le strict cadre du droit – en d’autres termes, par des difficultés d’ordre politique. Certains pays, notamment ceux issus de l’ancien bloc soviétique, adoptent en effet depuis plusieurs années des directions qui déportent sensiblement leur système judiciaire des standards en vigueur parmi les vingt-sept. Les cas de la Pologne et de la Hongrie sont, à cet égard, abondamment documentés ; celui de la Slovaquie commence à l’être de plus en plus, alors que la justice de ce pays, dirigé depuis mars 2020 par le parti populiste OLaNO, s’enfonce chaque jour un peu plus dans une dérive flirtant avec l’autoritarisme. Au risque de voir la Slovaquie rejoindre Pologne et Hongrie dans la liste des « mauvais élèves » susceptibles d’être sanctionnés…

Les causes de cette dérive sont plus politiques que structurelles. En grande difficulté dans l’opinion, le parti au pouvoir en Slovaquie ne récolterait ainsi que 8% des voix si des élections se tenaient aujourd’hui – loin derrière les deux principaux partis d’opposition, Smer et HLAS. Dans un effort manifeste pour détourner l’attention de ses résultats – notamment en matière sanitaire –, le gouvernement mené par Eduard Heger a entrepris de médiatiser la lutte contre la corruption, tout en l’instrumentalisant pour cibler ses opposants politiques.

Entrepreneurs et proches du Smer ou de HLAS défilent ainsi devant le procureur spécial Daniel Lipsic, dont les liens étroits avec OLaNO (critiqués par les ONG de défense des Droits de l’Homme) font peser de lourds soupçons sur son impartialité. Par ailleurs, de grands magistrats du pays se sont émus des méthodes employées (pression sur les inculpés, détention provisoire abusive, menaces…), dans ce qui ressemble de plus en plus à une exploitation politique de la Justice menée au grand jour et au sein d’un pays de l’UE. Des pratiques qui viennent rappeler cruellement que l’harmonisation judiciaire européenne est, définitivement, une course de longue haleine.

Une dérive de la justice qui ressemble à celles observées en Hongrie et en Pologne ces dernières années et oblitère toute harmonisation judiciaire européenne. À charge pour les pays-membres et pour l’UE de fixer les conditions de retour de ces pays dans le giron de l’État de droit, mais surtout de les sanctionner dans le cas contraire.

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