En mer de Chine méridionale et orientale comme dans le Pacifique sud, la Chine avance ses pions et entraîne des tensions croissantes. Provocations des forces aériennes et maritimes se multiplient. Pékin apparaît plus que jamais déterminé à grignoter des territoires que le droit international lui refuse. Côté diplomatie, ça ne marche pas fort.
Il n’y a pas que Taïwan pour souffrir de l’agressivité des forces armées chinoises, de leurs incursions ou de leur réponse agressive aux patrouilles de certains pays dans les eaux internationales que Pékin revendique abusivement. Ces dernières semaines l’Australie, le Canada, le Japon et les Philippines l’ont dénoncé suite à des incidents ou provocations qui font craindre un « dérapage » vers une confrontation armée directe.
Des actions « irresponsables et provocatrices »
Le 5 juin le ministre australien de la Défense, Richard Marles, a accusé un chasseur chinois d’avoir mis en danger un avion de patrouille maritime qui volait dans l’espace aérien international au-dessus de la mer de Chine méridionale. La même semaine le Canada dénonçait le harcèlement subi, en mer de Chine orientale cette fois-ci, d’une patrouille aérienne dont la mission dans le cadre des Nations Unies était de documenter les violations des sanctions internationales contre la Corée du Nord et son programme nucléaire. « Les actions de la Chine sont irresponsables et provocatrices, et nous continuerons d’insister fermement sur le fait qu’elles mettent les gens en danger tout en ne respectant pas les décisions de l’ONU » a réagi le Premier ministre canadien Justin Trudeau.
Quinze jours auparavant, le Japon protestait contre la construction de 17 plateformes de forage dans une partie de la mer de Chine orientale où les zones économiques exclusives des deux pays se chevauchent. Des négociations avaient bien été entamées en 2008, mais elle ont vite été suspendues, pour ne pas dire abandonnées. « Il est extrêmement regrettable que la partie chinoise procède unilatéralement au développement dans ces eaux », a déclaré le ministère des Affaires étrangères japonais, précisant que « les frontières des zones économiques exclusives et du plateau continental n’ont pas encore été fixées ».
Les Philippines décidées à ne plus céder
Si le droit international et des procédures d’arbitrage rabrouent les prétentions territoriales de la Chine, Pékin n’en a cure et même renforce sa présence sur de nombreux îlots au sud du continent. Philippines, Vietnam, Malaisie, Bruneï et Indonésie possèdent de nombreuses îles en mer de Chine méridionale et sont confrontés à l’activisme chinois. Occupation, extension et aménagement de récifs sont une constante de ces dernières années, avec la construction de bases militaires et de pistes d’aviation, comme dans les archipels des Spratleys et des Paracels. La Chine revendique aujourd’hui une souveraineté sur 80 % de cette mer clef pour le commerce maritime international, et très riche en ressources. Si l’armée n’intervient pas toujours directement, les garde-côtes chinois sont désormais équipés d’armes lourdes et constituent de véritables armadas de plusieurs centaines d’embarcations.
Aux Philippines, l’élection cette année d’un chef d’État moins complaisant avec Pékin ravive les tensions. Ferdinant Marcos Junior a prévenu fin mai qu’il ne « permettra pas qu’un seul millimètre de nos droits côtiers maritimes soit piétiné ». Au passage il a rappelé que « nous avons un jugement très important en notre faveur et nous l’utiliserons pour continuer à faire valoir nos droits territoriaux. Il ne s’agit pas d’une revendication. C’est déjà notre droit territorial. » En effet, en 2016 la Cour permanente d’arbitrage de La Haye a donné raison à Manille et a jugé infondées les revendications chinoises. Peu importe pour Pékin qui, autour du récif Whitsun, va jusqu’à manipuler une pléiade de navires de pêche pour y imposer une présence et renforcer son activisme. Le récif en question apparaît stratégique d’un point de vue militaire en cas de confrontation avec les États-Unis. Ceci dit les Philippines ne souhaiteraient pas choisir un camp mais trouver une position d’équilibre entre les deux puissances rivales. « Je pense que nous devons trouver une politique étrangère indépendante où nous sommes amis avec tout le monde. C’est la seule solution », a déclaré Marcos.
Jeu de séduction dans le Pacifique insulaire
La lutte d’influence de la Chine se mène jusque dans le Pacifique sud. L’offensive est aussi diplomatique. A l’heure actuelle les victoires sont plutôt rares, mais suffisantes pour inquiéter l’Australie et les États-Unis. Aux îles Salomon d’abord, dont le Premier ministre a annoncé le 20 avril la signature d’un accord de sécurité qui autorise la présence de militaires et policiers chinois, à 1.700 petits kilomètres des côtes australiennes. Cependant, le développement des intérêts économiques de la Chine sur l’archipel, alors que la crise sociale couve parmi la population, a provoqué fin 2021 de violentes émeutes anti-chinoises. La nation insulaire n’a pas toujours été inféodée à la Chine : jusqu’en 2019 le gouvernement d’Honiara faisait partie de la courte liste des pays reconnaissant Taïwan comme pays indépendant. La promesse d’énormes investissements a entraîné un changement de cap à la faveur d’un nouveau gouvernement.
Autre micro-État du Pacifique sud à tomber dans l’escarcelle chinoise, les Kiribati et sa capitale Tarawa, fameuse pour la terrible bataille qui s’y déroula en 1943 entre les États-Unis et le Japon. Un accord vient d’être signé pour la construction d’infrastructures par des entreprises chinoises… et l’envoi d’une aide contre le changement climatique. Une mesure opportune pour tenter de masquer l’essentiel aux yeux de la Chine : un pacte de sécurité similaire à celui signé avec les îles Salomon. L’accord prévoit entre autres la réhabilitation d’un aérodrome se situant à 3.000 kilomètres d’Hawaï, où est établi le commandement militaire américain pour l’Indopacifique.
Un tel pacte est le seul bénéfice retiré par les pourparlers du 30 mai dernier entre le ministre des Affaires étrangères chinois et dix nations du Pacifique. La proposition d’un vaste accord de coopération et sa composante sécuritaire a été refusée avec méfiance par la plupart des États concernés. « Ce devait être un tour de force diplomatique dans le Pacifique. Il s’est soldé par une courtoise déconvenue » écrit l’Institut français des relations internationales (IFRI) dans son éditorial du 3 juin (« Un coup d’épée dans l’océan : La tournée de Wang Yi dans le Pacifique insulaire »). Le président des États fédérés de Micronésie, David Panuelo, a dénoncé auprès des autres dirigeants la proposition « fallacieuse » destinée à « assurer l’influence chinoise sur le gouvernement » et le « contrôle économique ». Les déclarations apaisantes de Pékin, souvent à rebours des actes, n’ont pas suffi ici à faire céder des États soucieux de ne pas basculer dans la sphère d’influence chinoise.
Gaëtan Mortier
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