L’escale d’un navire de « recherche » chinois dans un port du Sri Lanka illustre les tensions entre l’Inde et la Chine. New Dehli craint un espionnage militaire. Pékin affirme mener des recherches scientifiques. Quoiqu’il en soit, le Sri Lanka est au cœur des attentions des deux grandes puissances rivales, avec un faible pour la Chine.
Malgré les protestions de l’Inde, le Yuan Wang 5 a accosté aujourd’hui mardi dans le port en eaux profondes d’Hambantota, au Sri Lanka. Bardé de technologies et de radars de pointe, il devrait y rester au moins cinq jours selon Colombo, « dans un esprit de bonne entente », et « uniquement pour se ravitailler en carburant ». Ses cuves doivent être abyssales ! Le ministre des Affaires étrangères indien a mis en garde « contre toute incidence sur la sécurité et les intérêts économiques de l’Inde, qui prendrait toutes les mesures nécessaires pour les sauvegarder ».
Un outil de cartographie des ressources militaires ?
Très actif dans l’océan Pacifique (cf opex360.com), l’impressionnant navire est soupçonné par des spécialistes et les services de renseignement indiens d’être un outil d’espionnage de dernière génération. Il serait capable de surveiller lancements de satellites, fusées et missiles balistiques intercontinentaux. Cité par RFI, l’analyste indien en relations internationales Sathiya Moorthy explique : « Ce bateau peut être utilisé pour cartographier les ressources militaires de l’Inde du Sud : installations nucléaires, forces navales, commandement aérien. De plus, le port où il va stationner est loué à la Chine. Officiellement, toute activité militaire y est proscrite. Mais ce n’est pas la première fois que l’on voit de tels navires à potentiel double usage. Cela doit inquiéter l’Inde mais aussi les Maldives, le Sri Lanka ou, Maurice. »
La Chine a réagi aux critiques par d’habituelles dénégations, et a déclaré que les « activités de recherche marines » ne devaient pas être entravées « par des tiers », Inde et États-Unis en tête. La méfiance vis à vis de la Chine est d’autant plus forte que le port d’Hambantota a été financé et construit par une banque et une entreprise chinoises, dans le cadre des « Nouvelles routes de la soie ». Pris à la gorge par sa dette extérieure (51 milliards de dollars), Colombo a par exemple cédé aux intérêts chinois une concession de 99 ans sur les activités commerciales du port.
« La république socialiste a demandé un allègement de sa dette à l’Inde et à la Chine, mais ces deux pays ont préféré lui offrir davantage de lignes de crédit pour leur acheter des produits de base », lit-on dans La Tribune. Un pays « miné par la corruption » dans un contexte de « chaos économique sans précédent ». Le premier créancier du pays est la Chine qui souhaite négocier avec le pouvoir en tête à tête, sans discuter avec les autres principaux créanciers (Banque mondiale, FMI, Japon).
Face à face tendu entre deux géants
Le Sri Lanka traverse une crise économique et politique majeure. Le pays est sous la coupe d’un clan politique qui n’a pas changé, malgré le nouveau gouvernement mis en place cet été, suite à des émeutes qui ont fait fuir le président Rajapakse. Toutefois celui-ci serait déjà sur le point de revenir sur l’île, a récemment indiqué le porte-parole de l’actuel gouvernement. Soit un symbolique bras d’honneur à une population exaspérée.
Les inquiétudes autour du navire espion remettent sur le devant de la scène la forte rivalité entre Inde et Chine. Chacune tente de rallier la petite île à sa sphère d’influence. A titre d’exemple, l’Inde a cette année envoyé de l’aide humanitaire et a débloqué un crédit de 3.8 milliards de dollars, afin d’acheter des biens essentiels, du carburant et des engrais. Cependant la Chine a depuis une quinzaine d’années gagné les faveurs des gouvernements sri-lankais. Comme ailleurs dans le monde, les Chinois investissent massivement dans les infrastructures du pays et développent une dépendance polémique.
Chine et Inde entretiennent un vif état de tension sur des hauteurs himalayennes toujours plus militarisées. Les deux pays y partagent 3.500 kilomètres de frontière. Pékin conforte des positions sur des territoires indiens. L’Inde renforce également sa présence militaire le long d’une ligne de démarcation disputée depuis 1962. Cette année-là les Chinois remportèrent une guerre éclair et annexèrent une partie du Ladakh. Il y a deux ans, 20 soldats indiens et 4 soldats chinois sont décédés dans des affrontements à mains nues à 4.300 mètres d’altitude.
Gaëtan Mortier
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