Les deux Républiques du Caucase se sont à nouveau affrontées cette semaine, provoquant au moins deux cents morts de part et d’autre. Un cessez-le-feu censé être garanti par des troupes russes de « maintien de la paix » a de nouveau été proclamé jeudi. Toutefois, dans les faits, la guerre n’a jamais vraiment cessé. L’Arménie subit à ses frontières un harcèlement quotidien de la part des troupes azerbaïdjanaises. Un nouveau conflit de haute intensité couve dans un contexte international délétère.
Le nombre estimé de militaires tués au combat ne cesse de croître au fil des jours. Ce vendredi l’Arménie déclarait au moins 135 pertes, contre 71 du côté de l’Azerbaïdjan. Les bombardements ont été intenses, chacun s’accusant d’en avoir été l’initiateur. Quoiqu’il en soit, il y a bien un État agressé et un État agresseur, et ce au-delà des territoires disputés du Haut-Karabagh, épicentre du conflit.
La dernière guerre de l’automne 2020 avait duré 44 jours et s’était soldée par au moins 6500 morts et une victoire nette de l’Azerbaïdjan et de son allié turc. L’Arménie, malgré une volonté farouche de résistance, a dû céder d’importants pans de territoire, dans et autour du Haut-Karabagh (voir cette carte récente publiée par Le Monde). Rappelons en outre qu’en décembre dernier la Cour de Justice Internationale a dénoncé « les actes de dégradation et de profanation du patrimoine culturel arménien, les églises et autres lieux de culte, monuments, sites, cimetières et artefacts », commis par les militaires azerbaïdjanais.
Depuis la trêve de 2020, environ 2000 soldats russes sont déployés dans la région pour tenter de garantir le respect très relatif d’un cessez-le-feu, ressemblant beaucoup à un nouvel entre-deux-guerres tacheté d’escarmouches. Car le président azerbaïdjanais Aliev n’a selon toute vraisemblance pas renoncé à conquérir davantage de territoires arméniens afin, à tout le moins, de réaliser une jonction territoriale à l’Ouest avec la République autonome du Nakhitchevan. Selon certaines inquiétudes, ses objectifs seraient plus larges, avec diverses formes de soutien de la Turquie, historiquement hostile au peuple arménien.
De nouveaux territoires arméniens occupés
Dans la foulée des derniers combats, le Premier ministre arménien Nikol Pashinian a dénoncé l’occupation de nouveaux territoires : « L’ennemi, qui occupe depuis mai 40 km² de terres arméniennes, en occupe maintenant 10 km² de plus. (…) Ils doivent quitter nos terres ». Selon une tribune publiée par un journaliste du Figaro, en ce qui concerne le président Aliev, « il s’agissait de riposter aux « provocations arméniennes » à la frontière. Comme tout autocrate qui se respecte, le satrape de Bakou confond communication et propagande, c’est-à-dire mensonge. Sa rhétorique, digne de celle de Poutine parlant d’«opération spéciale» pour ne pas dire invasion, a pour seul objet de donner un vernis de légitimité à sa politique de conquête impérialiste ». Et de s’interroger sur l’absence de réaction des chancelleries européennes lors de la guerre de 2020.
Cette semaine le chef d’État arménien s’est d’abord tourné vers Vladimir Poutine, puisque la Russie est l’alliée de l’Arménie au sein de l’Organisation du traité de la sécurité collective. La dernière guerre a cependant montré que le Kremlin préfère éviter de se mouiller, au-delà de la présence d’une faible force d’interposition entre les deux belligérants. La diplomatie russe a publié un communiqué réclamant le respect intégral du nouveau cessez-le-feu et dit s’inquiéter « de la nette dégradation de la situation ». En novembre 2021, Poutine avait invité à Sotchi les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan afin de mener des pourparlers. L’Arménie y avait dénoncé la « politique constamment agressive » de son voisin, sans que cela n’entraîne une réaction russe ou une inflexion de l’attitude d’Aliev.
L’Arménie un peu moins seule qu’en 2020 ?
Depuis le printemps Poutine n’est plus le seul interlocuteur de l’Arménie, jusqu’à présent abandonnée à son sort. Pashinian s’est en effet entretenu cette semaine avec le secrétaire d’État américain Antony Blinken et le président français Emmanuel Macron, qui a réclamé le respect de « l’intégrité territoriale de l’Arménie ». Mais chacun sait que dans de telles circonstances les mots ne peuvent rien, et soulignent même l’absence d’actions. La France a toutefois fait part de son intention de saisir le Conseil de Sécurité de l’Onu, ce qui n’est pas nécessairement un gage d’avancée capable de rassurer les Arméniens.
Coupable d’un silence assourdissant en 2020, l’Union européenne a décidé cette année de s’intéresser au conflit afin de trouver un accord de paix. En avril et en mai, des rencontres ont été organisées à Bruxelles entre les deux pays, afin de négocier la démarcation des frontières et l’ouverture de voies de transport. En août Pashinian et Aliev se rencontraient pour la 4e fois en Belgique, permettant selon de nombreuses retombées médiatiques des « avancées » dans le processus de paix. Mais il est aisé pour certains de préparer la guerre tout en négociant, et même de prononcer des paroles rassurantes à la veille d’une agression d’ampleur. Cela peut même être une stratégie.
Sous pression militaire, sans allié valable, le Premier ministre arménien Pashinian envisagerait de lâcher du lest sur le Haut Karabagh, quitte à se mettre à dos l’opinion publique de son pays. Une paix (durable ?) serait à ce prix ? Fort de ses investissements militaires colossaux et de sa supériorité sur le terrain des armes, l’Azerbaïdjan pourrait en vouloir davantage… Quelles pourraient-être les représailles européennes à une nouvelle étape d’une guerre contre les Arméniens, alors que Mme Van der Leyen, présidente de la Commission européenne, a signé en juillet dernier un accord doublant les importations de gaz azerbaïdjanais ?
Gaëtan Mortier
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