« Un simulacre de procès », selon Amnesty International, dans un article publié le 26 août dernier. Depuis plusieurs jours, la Russie semble se préparer à déployer un tribunal à Marioupol, ville ukrainienne meurtrie par la guerre sous occupation russe, pour juger des prisonniers de guerre ukrainiens. Sous pression internationale, la militarisation de l’espace judiciaire devient, pour la Russie, un impératif stratégique. Une arme qu’elle utilise déjà dans les relations internationales.
Inquiétude autour des futurs « procès de Marioupol »
En tout et pour tout, 23 combattants ukrainiens devraient être jugés au sein d’un « tribunal international » ad hoc, construit au sein de l’ancienne Philharmonie de Marioupol, ville martyre du conflit. Parmi eux, plusieurs sont issus du controversé bataillon Azov, une unité paramilitaire ukrainienne comptant dans ses rangs de nombreux sympathisants d’extrême-droite, qui s’est imposée comme une cible privilégiée de la propagande russe et de la « dénazification » du pays. Ces rumeurs ont été confirmées par la publication d’un grand nombre de photos et de vidéos sur les réseaux sociaux, attestant de la construction de cages en métal dans les anciens locaux de la Philharmonie, destinés à accueillir des prisonniers pendant le procès.
Un « tribunal international », auquel la grande majorité de la communauté internationale n’accorde aucune valeur. « Ces projets de procès-spectacle sont illégitimes et sont une parodie de justice, nous les condamnons fermement » dénoncent les Etats-Unis, par la voix de Ned Price, porte-parole du département d’État américain. Les ONG, comme le gouvernement ukrainien, craignent aussi que ces procès ne portent atteinte à la Convention de Genève, qui encadre les droits des prisonniers de guerre et les protège des procès inégaux. Au niveau des Nations-Unies, l’inquiétude persiste aussi, alors que la porte-parole du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme, Ravina Shamdasani a rappelé fin août que « les personnes bénéficiant du statut de prisonnier de guerre jouissent de l’immunité accordée aux combattants et ne peuvent être poursuivies pour avoir participé à des hostilités ou pour des actes de guerre licites commis au cours du conflit armé ». Les prisonniers encourent, quant à eux, la peine capitale. Quelques semaines auparavant, l’Ukraine dénonçait « un meurtre de masse délibéré de prisonniers de guerre ukrainiens », après le bombardement d’une colonie pénitentiaire de prisonniers ukrainiens, dont le bilan final s’élève à 53 morts et 75 blessés avec, parmi eux, de nombreux membres du bataillon Azov.
La précieuse monnaie d’échange des prisonniers
Des deux côtés du conflit, les prisonniers constituent aussi une précieuse monnaie d’échange pour récupérer de nouveaux combattants. Le 2 septembre dernier, le centre de coordination des prisonniers de guerre ukrainiens affirmait ainsi que quatorze prisonniers avaient été rendus à l’Ukraine, sans pour autant préciser le nombre de militaires russes libérés en échange. Le 29 juin, ce sont 144 soldats ukrainiens qui ont pu retrouver la liberté. Si l’Ukraine ne communique pas sur le nombre de prisonniers russes libérés en retour, Olena Vysotska, vice-ministre ukrainienne de la justice, affirme que le Kremlin négocie avant tout « les Tchétchènes, les forces spéciales, les pilotes… les soldats les plus qualifiés ». En revanche, « ceux pour lesquels ils ont le moins d’intérêt sont les combattants des républiques séparatistes de Louhansk et Donetsk ». Les simples soldats, quant à eux, risquent d’attendre plus longtemps dans les prisons ukrainiennes avant d’espérer retourner en Russie. Le sort des prisonniers capturés par les combattants des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk est en revanche souvent encore plus expéditif. En juin dernier, trois combattants étrangers, deux Marocains et un Britannique, combattants au sein des forces ukrainiennes ont été condamnés à mort par la Cour Suprême de la République de Donetsk, après un procès éclair.
La Russie se sert aussi de l’arme des prisonniers pour défendre ses intérêts face à ses rivaux. En février dernier, la basketteuse américaine Brittney Griner, double championne olympique et star de la Team USA, a été arrêtée à Moscou pour possession d’huile de cannabis (CBD) et risque de très lourdes sanctions. Elle rejoint ainsi Paul Whelan, un ancien soldat américain, qui purge en Russie une peine de 16 ans de prison pour « espionnage ». De son côté, la Russie espère récupérer le tristement célèbre Viktor Bout, un trafiquant d’armes russe détenu aux Etats-Unis et condamné à 25 ans de prison, incarné à l’écran par Nicolas Cage dans Lord of War, sorti en 2005. A la mi-août, la Russie a reconnu l’existence d’échanges impliquant Brittney Griner, Paul Whelan et Viktor Bout. Le 27 avril dernier, un ancien Marine américain, Trevor Reed a été échangé contre Konstantin Iarochenko, en Turquie, alors qu’il avait été condamné à 20 ans de prison par un tribunal américain. L’une des priorités de la Russie est aujourd’hui la businesswoman Marsha Lazareva, ancienne dirigeante de la société d’investissement koweïtienne KGLI et de son fonds d’investissement, le Port Fund (TPF). Accusée d’avoir détourné plusieurs centaines de millions de dollars aux Philippines, au détriment du fonds d’investissement koweïtien, elle fait l’objet d’un intérêt renouvelé de la Russie, qui tente de négocier son extradition auprès du Koweït, qui reste sourd à ses demandes.
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