Vos droits face à France Travail remis en question

Le 7 mars 2025, le Conseil d’État a rendu une décision majeure concernant les obligations déclaratives des demandeurs d’emploi. Cette haute juridiction administrative a tranché en faveur d’un allocataire sanctionné par France Travail pour de prétendues fausses déclarations, alors même qu’il avait signalé sa reprise d’activité par plusieurs moyens alternatifs.
Protection des droits des demandeurs d’emploi face aux sanctions administratives
La décision du Conseil d’État marque un tournant significatif dans l’interprétation des obligations déclaratives imposées aux bénéficiaires des allocations-chômage. Le litige concernait un demandeur d’emploi qui, tout en percevant l’Allocation d’Aide au Retour à l’Emploi (ARE), avait repris une activité professionnelle en décembre 2018.
Ce travailleur avait bien informé France Travail de sa nouvelle situation par courriels, transmettant son contrat de travail et ses fiches de paie. Il expliquait rencontrer des difficultés techniques pour effectuer sa déclaration mensuelle en ligne, son mode de rémunération au forfait ne correspondant pas aux champs proposés par le système informatique de l’organisme.
Malgré ces démarches répétées, la direction de France Travail avait estimé qu’il s’agissait d’une fausse déclaration, exigeant le remboursement des sommes versées durant sa période d’activité. L’organisme avait également prononcé sa radiation pour six mois de la liste des demandeurs d’emploi et supprimé définitivement son droit à l’ARE.
Le Conseil d’État a invalidé cette interprétation stricte, rappelant qu’une fausse déclaration implique nécessairement « une volonté délibérée de dissimulation », absente dans ce cas précis. Cette décision protège les demandeurs d’emploi contre des sanctions disproportionnées lorsqu’ils font preuve de bonne foi et accomplissent des démarches alternatives pour respecter leurs obligations.
Les obligations déclaratives à la lumière du droit administratif
Dans sa décision, le Conseil d’État clarifie un point crucial : l’actualisation mensuelle de la situation d’un demandeur d’emploi n’est pas obligatoirement soumise à l’utilisation exclusive d’un téléservice. Cette position s’appuie sur l’article R. 5312-39 du code du travail, qui ne mentionne pas l’actualisation parmi les démarches devant impérativement être effectuées en ligne.
La juridiction administrative rappelle également que France Travail a l’obligation de « veiller à ce que les voies offertes aux demandeurs d’emploi pour satisfaire à leurs obligations déclaratives leur permettent un accès normal au service public de l’emploi et leur garantissent l’exercice effectif de leurs droits ». Cette exigence prend tout son sens face à la dématérialisation croissante des services publics.
Le demandeur d’emploi concerné avait respecté l’article R. 5411-7 du code du travail en signalant son changement de situation dans les 72 heures suivant son embauche. Le Conseil d’État considère que ces démarches alternatives sont valables lorsque le système informatique ne permet pas de déclarer correctement certaines situations particulières, comme une rémunération au forfait.
Cette décision établit un principe important : l’administration doit apprécier la bonne foi du demandeur d’emploi « en tenant compte des circonstances propres à chaque situation » et de « l’ensemble des éléments produits par le demandeur d’emploi établissant les diligences qu’il a accomplies ».
Les implications concrètes pour les allocataires et France Travail
Cette jurisprudence apporte une protection significative aux allocataires confrontés à des difficultés techniques ou à des situations professionnelles atypiques. Elle reconnaît que les efforts répétés pour informer l’administration par d’autres canaux doivent être pris en compte avant toute sanction.
Pour France Travail, cette décision impose une approche plus nuancée dans l’application des sanctions. L’organisme devra désormais examiner avec attention les démarches alternatives entreprises par les demandeurs d’emploi avant de conclure à une fausse déclaration. La simple absence d’actualisation en ligne ne suffit plus à caractériser une intention frauduleuse.
Les conséquences pratiques sont importantes : radiation de la liste des demandeurs d’emploi, suppression définitive des allocations et remboursement des sommes perçues sont des sanctions lourdes qui ne peuvent être appliquées sans une analyse approfondie de la situation individuelle et des efforts déployés pour respecter les obligations légales.
Cette jurisprudence pourrait inciter France Travail à améliorer ses systèmes informatiques pour mieux prendre en compte les situations atypiques d’emploi, comme les rémunérations au forfait ou certains types de contrats particuliers. Elle pourrait également conduire à une diversification des canaux de communication acceptés pour les déclarations mensuelles.
Un équilibre nécessaire entre digitalisation et accessibilité des services publics
La décision du Conseil d’État s’inscrit dans un débat plus large sur la dématérialisation des services publics. Si celle-ci présente des avantages indéniables en termes d’efficacité et de coûts, elle ne doit pas se faire au détriment des droits des usagers, particulièrement les plus vulnérables ou ceux confrontés à des situations particulières.
En annulant les sanctions prises contre ce demandeur d’emploi, la haute juridiction administrative rappelle que l’accès aux droits sociaux fondamentaux ne peut être conditionné exclusivement à l’usage d’outils numériques. Cette position fait écho aux préoccupations du Défenseur des droits qui alerte régulièrement sur les risques d’exclusion liés à la dématérialisation.
Cette jurisprudence invite France Travail à maintenir des alternatives aux procédures en ligne et à faire preuve de discernement dans l’application des sanctions. Elle réaffirme que le service public de l’emploi doit rester accessible à tous, quelles que soient les compétences numériques ou les situations particulières des allocataires.
En définitive, cette décision du Conseil d’État contribue à préserver un équilibre entre modernisation administrative et protection des droits des demandeurs d’emploi, rappelant que la digitalisation doit rester un moyen et non une fin en soi.