Le mouvement de contestation du projet de la ministre de la Santé sur le paquet de cigarettes neutre ne faiblit pas. Après d’importantes manifestations de buralistes béarnais, qui rejoignent le mouvement national, et après la suppression de la mesure par un amendement socialiste en commission des affaires sociales en juillet dernier, la ministre persiste et signe : en dépit de la forte mobilisation contre sa réforme, elle la fera repasser entre les mains des députés. Un acharnement qui pourrait avoir pour seules conséquences de ruiner les petites entreprises (marques confidentielles et buralistes), plus fragiles, et de gonfler les chiffres du marché parallèle.
Malgré le vote raz-de-marée contre le paquet neutre au Sénat le 16 Septembre dernier (228 voix contre et seulement 16 pour) Marisol Touraine continue de faire la sourde oreille. Si les arguments à charge s’accumulent, il en existe un dont on n’a peu parlé jusqu’à présent dans le débat public, et qui concerne les dégâts collatéraux que provoquerait cette mesure chez les petits producteurs et commerçants de tabac – sans commune mesure avec ceux dont seraient victimes les mastodontes du secteur, dérisoires.
Jean-Luc Renaud, secrétaire général de la Confédération des buralistes, dénonce « une mesure qui ne sert à rien ; elle est incohérente, terriblement pénalisante et je dirais même qu’elle est criminelle. » Pour lui, cela n’aura aucun effet sur la consommation globale de tabac, mais pourrait en revanche s’avérer catastrophique pour les buralistes, en particulier dans les zones transfrontalières car aucun pays limitrophe n’a opté pour le paquet neutre.
Mais le paquet neutre pourrait avoir un autre effet pervers important : en ne permettant plus de mettre en valeur sur les paquets la qualité des produits, il encouragera la production d’un tabac à bas prix. Premiers à pâtir de cette indifférenciation généralisée, les fumeurs bien sûr, mais aussi les petits fabricants, artisans sélectionnant leurs produits avec soin. La France peut en effet se vanter de compter en son sein des producteurs scrupuleux, qui fournissent un produit exigeant. Peut-être plus pour longtemps…
Ainsi en va-t-il de l’entreprise Traditab par exemple, à l’origine de la marque 1637, en référence à la première année de culture du tabac en Lot-et-Garonne. Ses produits sont confectionnés grâce à une centaine d’agriculteurs producteurs de tabac en Lot-et-Garonne, Gironde, Pyrénées-Atlantiques, Landes, Hautes-Pyrénées, regroupés au sein de la coopérative Tabac Garonne Adour.
« On est une jeune PME dont la finalité est de valoriser la production régionale de tabac, notre marque n’est pas vendue à l’étranger, on n’est pas une grosse major, Une mesure comme ça, pour des producteurs comme nous qui n’avons pas une grande notoriété, sera fortement pénalisante », explique le directeur de l’entreprise, Jérôme Duffieux. « Nous enlever notre seul moyen de communiquer et de nous différencier au travers de nos paquets, conduirait certainement à la disparition de notre entreprise. »
Fondée en 2008 à l’initiative de la coopérative Tabac Garonne Adour, Traditab a depuis créé 35 emplois à Tonneins, zone économiquement sinistrée du Lot-et-Garonne. Son activité génère par ailleurs des emplois localement et participe à la viabilité d’une centaine d’exploitations agricoles… L’avènement du paquet neutre pourrait sonner le glas de cette initiative et stopper net non seulement son développement économique, mais aussi celui de tout un écosystème.
La volonté de mise en place du paquet générique renvoie à la tentation typiquement française de surenchère par rapport aux textes européens, au mépris de nos propres entreprises et, dans bien des cas, sans garantie aucune d’obtenir de meilleurs résultats.
Nos voisins ont quant à eux fait le choix d’une voie plus mesurée en s’en tenant à l’application de la directive européenne qui préconise de porter les photos et avertissements sanitaires à 65 % de la surface des paquets, laissant ainsi possible l’affichage des marques de tabac dans le respect du droit de propriété intellectuelle. Un parti-pris qui, en nous isolant, favoriserait encore davantage les achats transfrontaliers.
Un scénario catastrophe et un sacré paradoxe pour Traditab, qui jusqu’à présent a choisi de valoriser la production de tabac locale en ne commercialisant ses produits que par l’intermédiaire du réseau de buralistes français. Si ce texte était adopté, cette PME n’aurait sans doute d’autre choix, pour ne pas couler, que de faire en sorte que sa marque soit présente aux frontières et vendue aux clients français déjà nombreux qui s’approvisionnent en Andorre, en Espagne, en Belgique ou au Luxembourg…
Tribune proposée par VE
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