L’industrialisation d’Airbnb, trahison des valeurs de l’économie du partage

L’industrialisation d’Airbnb, trahison des valeurs de l’économie du partage

Près de 20% des propriétaires proposeraient au moins deux logements à la location sur le site parisien d’Airbnb, révèle Murray Cox, jeune photojournaliste australien ayant compilé de nombreuses données présentes sur le site de la start-up. La capitale, premier marché de l’entreprise californienne avec 10% de l’offre mondiale, n’est cependant pas la seule ville à subir ce phénomène. 26% à Berlin, 55% à Barcelone, les multipropriétaires n’en finissent plus de louer leurs appartements à des touristes de passage. Une pratique ultra « business » qui flirte avec les limites de la légalité, en plus d’être assez peu en accord avec l’esprit économie du partage prôné par le géant de la location touristique entre particuliers.

Réglementation contournée

On est loin de la promesse originelle d’« Air Bed and Breakfast », littéralement « matelas pneumatique et petit-déjeuner », soit la signification de l’acronyme Airbnb. En quelques années, Airbnb est devenu un mastodonte de la location saisonnière de logements entre particuliers. Le site propose aujourd’hui plus de 50 000 logements en région parisienne – il n’en avait que 7 000 pour toute la France en 2012. Un phénomène que les pouvoirs publics n’avaient pas vu venir et qu’ils ont mis du temps à réglementer.

C’est à présent chose faite, et deux cas de figure sont légalement possibles. Soit le propriétaire met à disposition sa résidence principale, auquel cas il ne peut le faire que temporairement : quatre mois à l’année maximum. Soit le propriétaire loue sa résidence secondaire. Dans ce deuxième cas, il aura besoin d’une autorisation de la mairie pour ce faire. Le but de cette réglementation est d’éviter que les propriétaires ne s’enrichissent de manière indue (rappelons que les compléments de revenus ainsi obtenus échappent encore à l’impôt) et qu’ils ne constituent pas une concurrence déloyale pour le secteur traditionnel de l’hôtellerie. Bref, à bien y regarder, la loi va dans le sens des ambitions avancées par Airbnb à ses débuts, mais desquelles la start-up s’est détachée depuis : représenter une une solution d’appoint, une bonne façon d’arrondir ses fins de mois.

Les multipropriétaires en ligne de mire

La seconde catégorie de loueurs, les saisonniers, intéresse particulièrement la Mairie de Paris. Lors d’une opération « coup de poing » au printemps dernier, les agents municipaux ont traqué les multipropriétaires qui contournent la réglementation et louent leur logement à l’année, sans autorisation et souvent de façon industrielle – en faisant pas exemple appel à un prestataire pour accueillir les touristes de passage. Au bout du compte, seules vingt personnes auront été sanctionnées. Un chiffre qui paraît bien faible au regard du nombre de logements mis en ligne dans Paris intra muros.

« Paris compte entre 20 et 30.000 meublés touristiques, 10% sans autorisation de la ville » explique ainsi Ian Brossat, adjoint en charge du logement à la Mairie de Paris. « Il y a des propriétaires de trois, quatre, cinq appartements inoccupés loués plusieurs mois dans l’année », précise-t-il. On estime en effet à 20% la part des propriétaires qui proposent au moins deux logements à la location à Paris. Comment les démasquer ? La Mairie assure fonctionner selon deux méthodes : les recherches en ligne, directement par les agents de la Mairie, qui permettent d’identifier les personnes qui disposent de plusieurs logements, et les signalements qui sont faits auprès de leurs services.

Une expérience unique ?

Quid de l’expérience unique que nous propose Airbnb ? L’image fantasmée de vivre « comme un local » perd tout son sens si l’on passe ses vacances dans l’appartement de quelqu’un qui n’y vit jamais et n’est même pas là pour nous accueillir ! Un business qui a pourtant le vent en poupe, pour les demeures d’exception notamment. Villa en corse, hôtel particulier à Paris, chalet à la montagne, voire yacht sur la Méditerranée… Les biens se louant à plus de 1500€ la nuit se font de moins en moins rares sur le site de location. Un designer expatrié aux États-Unis a sauté le pas il y a trois ans et loue depuis son hôtel particulier du 14ème arrondissement, doté d’un jardin japonais privatif de 100 m². Il affirme ainsi « offrir une vraie tranquillité, une intimité aux voyageurs, ce qui manque souvent dans les hôtels, trop impersonnels ». De quoi ravir les riches touristes lassés des palaces parisiens.

En attendant, la crise du logement s’aggrave et le secteur hôtelier traditionnel est aux abois. Petits hôtels comme grands palaces, tous se disent touchés par le phénomène Airbnb. Le Bristol, célèbre hôtel de luxe parisien qui revendique une clientèle majoritairement européenne, a par exemple vu son chiffre d’affaires chuter de près de 20% au premier semestre, avec un taux d’occupation tombé à 61,2% contre 69,2% un an plus tôt. Une tendance qui, si elle persistait, pourrait durablement impacter l’activité du secteur, qui représente tout de même près de 10 % du PIB français.

Tribune proposée par M. Gauthier, Big Data Manager dans l’industrie du tourisme.

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