Les nouveaux acteurs de l’économie « collaborative », tels qu’Uber et Airbnb, ont connu ces dernières années une croissance sans précédent, notamment grâce au vide juridique qui accompagnait leur création. Si leur poids économique est aujourd’hui considérable, Bruxelles souhaiterait encadrer ces nouveaux géants du digital.
Qu’il est loin le temps de l’économie collaborative « d’appoint », où les particuliers louaient un bien ou un service pour arrondir leurs fins de mois. Le modèle des plateformes « de particulier à particulier » a connu un essor impressionnant ces dernières années, et a vu un certain nombre de ses acteurs devenir des poids lourds dans leur secteur. Ceci non sans conséquence.
Problématiques nouvelles
L’arrivée tonitruante de cette nouvelle concurrence sur le marché n’est d’ailleurs pas passée inaperçue : en février dernier, certaines grandes villes françaises étaient massivement impactées par des manifestations de taxis, qui protestaient contre les conducteurs de la plateforme Uber ; le secteur hôtelier, de son côté, n’en finit pas de taper du poing sur la table contre Airbnb qui siphonne littéralement le marché immobilier parisien. Le point commun entre les taxis et les hôteliers ? Ils ont tous deux face à eux des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes règles qu’eux, et jouissent d’une situation nettement plus avantageuse. Si certains se sont engagés afin de contrôler le phénomène dit d’ « ubérisation » de pans entiers de l’économie, force est de constater un manque criant d’unification et une incohérence législative évidente d’un pays – souvent d’une ville – à l’autre.
Pour clarifier la situation, Bruxelles a décidé d’organiser une rencontre entre les différents commissaires européens concernés, afin de discuter d’une série d’orientations pour aider les États membres à appliquer les règles européennes existantes à l’économie de partage. Celles-ci devraient concerner des domaines comme la taxation, l’emploi et la protection des consommateurs. Ainsi, la Commission européenne examine en ce moment les dispositions des directives sur les services et sur le commerce électronique, et cherche à voir comment elles pourraient s’appliquer aux entreprises comme Uber ou Airbnb. La décision d’unifier les cadres règlementaires soulève pourtant deux difficultés : la délicate question de l’harmonisation normative, et la multiplication d’affaires juridiques opposant Etats et plateformes collaboratives ces dernières années. Faute de précédent, nombre de requêtes ont été déposées à titre expérimental, et les cours de justice sont véritablement envahies par les plaintes.
Au départ jugés inoffensifs, les nouveaux acteurs de l’économie du partage ont en réalité apporté avec eux nombre de problématiques nouvelles et suscité les mécontentements. A l’image d’Airbnb, startup californienne devenue multinationale, qui a manqué de se faire couper l’herbe sous le pied dans sa ville natale, San Francisco, en novembre dernier. A l’origine, un référendum qui visait à encadrer très strictement les locations entre particuliers dans la ville californienne. Après de longs mois de lutte médiatique et de lobbying, le site américain s’en était sorti de justesse. Pourtant, les doléances à son encontre étaient nombreuses : détournement d’habitation en meublés pour touristes, augmentation de la pression immobilière, tapages nocturnes et diurnes, fermeture des commerces de quartiers – délaissés par les usagers en voyage au profit de restaurants –, ou encore concurrence déloyale à l’hôtellerie. Et ces plaintes se retrouvent dans la plupart des grandes villes européennes et américaines touchées par le phénomène.
Airbnb cristallise les excès de cette économie collaborative
Le phénomène « Barceloneta », du nom du quartier central de Barcelone aujourd’hui devenu un musée où se croisent les touristes, terrifie plusieurs capitales. En France, l’Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AhTop) n’a eu de cesse de souligner « les problèmes de vie de quartier, d’accès au logement, de distorsion de concurrence et d’impact sur l’économie engendrés par l’utilisation massive et incontrôlée des plateformes de locations de meublés. » Et l’opinion publique commence à s’emparer des enjeux : deux tiers des personnes interrogées dans le cadre d’une étude Harris Interactive estiment ainsi qu’Airbnb contribue à l’augmentation des loyers, quand près des trois quarts voudraient limiter le nombre de locations de meublés. En haut de cette liste des villes menacées : Paris. Avec plus de 60 000 offres recensées, la capitale est devenue la première destination des usagers du site. Si les locations de biens immobiliers dans la capitale sont limitées à une durée maximale de 120 jours par an, les fraudes sont nombreuses. « Près de 20 000 logements ont été convertis en meublés touristiques, chassant les habitants du cœur de la capitale », déplorait Ian Brossat, adjoint au logement de la maire de Paris, Anne Hidalgo.
D’après une étude menée cette fois-ci par l’Union des métiers de l’industrie de l’hôtellerie, 35 % des offres dépassent 120 jours par an et génèrent 74 % de l’activité de la plateforme. De même, certains propriétaires à Paris gèrent plusieurs dizaines de logements, et si certaines voix s’élèvent pour dénoncer la rétention d’information pratiquée par la plateforme, Airbnb se garde bien de dénoncer les abus, consciente du manque à gagner considérable qu’une application stricte de la loi impliquerait. Face à ces dérives, certains, comme la ville de Berlin, ont fait le choix de frapper un grand coup. La capitale allemande a décidé d’interdire purement et simplement la location touristique via ces plateformes à partir du 1er mai dernier ; seule la location d’une pièce dans un appartement ou une maison sera autorisée, et plus la totalité d’un logement comme c’était le cas auparavant.
Paris pourrait bien lui emboîter le pas avec le projet de loi pour une « République numérique. » La capitale française a d’ailleurs imposé un taxe de séjour pour chaque nuitée, mais celle-ci n’est que d’un montant symbolique (83 centimes par jour de location). New York a quant à elle promulgué une loi visant les « hôtels illégaux » il y a trois ans déjà. Elle interdit aux propriétaires de mettre à disposition leur logement s’ils ne se déclarent pas aux registres des hôteliers ou s’ils ne sont pas présents dans le logement durant la location. En Espagne, la réglementation a également été renforcée : à Barcelone, par exemple, il est désormais interdit de mettre un bien en location pour une durée inférieure à une semaine ; à Madrid, le seuil est de 5 jours.
Loin d’être épargné, Uber connait à peu près les mêmes déboires depuis quelque temps : le service a été pendant un temps suspendu en Espagne, et étroitement encadré dans certains pays d’Europe. Cependant, les écarts de législation font encore tache. Ces derniers mois, les Commissaires européens et leurs équipes ont donc rencontré certains représentants de l’économie de partage. Avec, pour ambition, de réguler ce nouveau marché, vertueux dans ses ambitions mais discutable dans sa réalisation.
Crédits photo : AFP/Hertzog
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