Le 19 septembre dernier, le nouveau premier ministre pakistanais Imran Khan était reçu en Arabie saoudite. À la tête d’un pays menacé d’insolvabilité, celui-ci a sollicité l’aide financière de son allié saoudien. Une aide que Riyad cherche à monnayer contre une implication de l’armée pakistanaise dans l’inextricable conflit au Yémen.
Économiquement sinistré, le Pakistan cherche des fonds
Ancien joueur international de cricket ayant mené le Pakistan à la victoire lors de la coupe du monde 1992, Imran Khan est depuis deux mois à la tête d’un pays qui s’enfonce dans une situation inquiétante : impactée par une pénurie d’eau, une démographie galopante et l’influence grandissante de mouvements extrémistes, cette République islamique de 208 millions d’habitants a vu son déficit budgétaire passer de 4 à 10 % du PIB en cinq ans ; sa monnaie dévaluée quatre fois depuis décembre — alimentant une inflation qui frôle les 6 % — et sa balance commerciale se détériorer considérablement. Par conséquent, les réserves en devises étrangères du pays ont fondu pour atteindre 10,3 milliards de dollars alors qu’il doit rembourser les nombreux emprunts qu’il a contractés. Or, Imran Khan s’est fait élire sur sa volonté de créer un « État-providence islamique », qui repose sur des dépenses importantes dans l’éducation et la santé.
Renfloué à maintes reprises depuis les années 1980, Islamabad s’était vu octroyer un prêt du Fonds monétaire international (FMI) de 6,6 milliards de dollars en 2013 afin de faire face à une crise similaire. Hésitant à demander une nouvelle fois l’aide du FMI, c’est donc vers son allié historique et bailleur de fonds saoudien que le gouvernement pakistanais s’est tourné.
Outre le roi Salman, Imran Khan a également rencontré le prince héritier Mohammed ben Salman, et le ministre de l’Énergie. Un agenda qui ne surprend guère lorsqu’on sait que les médias pakistanais ont fait état d’un récent prêt de 4,5 milliards de dollars de l’Arabie saoudite — via la Banque islamique de développement — qui servirait uniquement à lui acheter du pétrole.
Mais pour l’Arabie saoudite, les enjeux dépassent le cadre financier. Une situation résumée par Christophe Jaffrelot, du Centre de recherches internationales (Ceri) Sciences Po : « On est dans une situation qui commence par des questions financières et qui en vérité se termine par des considérations géopolitiques ». Il s’agit notamment de l’épineuse question de la guerre du Yémen et, à travers elle, de l’influence de l’Iran : « Les Saoudiens vont sans doute demander que le Pakistan ou bien déploie des troupes, ou bien soutienne de manière aérienne des opérations au sol au Yémen. Chose que les Pakistanais sont très réticents à faire pour ne pas s’aliéner le voisin iranien qui, en plus de cela, est en phase de rapprochement avec l’ennemi indien. »
Après l’Arabie saoudite, Imran Khan doit se rendre aux Émirats arabes unis, où il sera là aussi certainement question de l’intervention au Yémen : les Émiratis, alliés de Riyad, ont été parmi ceux qui ont le plus mal vécu le refus des Pakistanais d’intervenir au Yémen en 2015.
Enlisée au Yémen, l’Arabie saoudite cherche des soutiens
Pour comprendre le drame qui se joue au Yémen, retour en 2014 : les Houthis — des chiites zaydites se sentant marginalisés sur le plan politique et religieux et soutenus par l’Iran et le Hezbollah libanais — s’emparent alors d’une large fraction du territoire yéménite dont la capitale, Sanaa. Le gouvernement pakistanais appelle alors à l’aide une coalition de pays arabes voisins conduits par l’Arabie saoudite qui, avec leur opération « tempête décisive », déclenchent une guerre qui a jusqu’à présent fait plus de 10 000 morts, en grande majorité civils. La coalition use en effet de bombardements contre les rebelles mêlés à la population civile, ce qui entraîne des catastrophes telles que celle du 9 août dernier qui aurait fait 39 morts et 51 blessés dont la plupart seraient des enfants.
Outre le chaos militaire, le pays de 28 millions d’habitants est également victime d’un désastre humanitaire : avec une augmentation de 68 % du prix des denrées alimentaires depuis 3 ans, 5,2 millions d’enfants sont menacés de famine ; plus d’1 million de cas de choléra sont suspectés et 2 millions de Yéménites ont été déplacés.
Pour l’universitaire Lara Al Raisi, « au Yémen, Saoudiens et Iraniens se livrent à une guerre par procuration (…) En intervenant, l’Arabie saoudite pensait régler le problème en quelques mois, mais elle s’est enlisée dans une guerre dont on ne voit plus comment elle va sortir ». Une situation qui rappelle tristement celle du Vietnam, pays martyr, victime pendant près de 20 ans de l’affrontement indirect des deux blocs lors de la Guerre froide.
L’Arabie saoudite cherche donc à utiliser sa force de frappe financière pour entraîner un allié en situation de fragilité dans un bourbier qui s’est transformé en la pire crise humanitaire que connaît actuellement le monde, dans la quasi-indifférence de l’Occident.
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