La 5G par Huawei, un différend international

La 5G par Huawei, un différend international

La récente conférence sur la sécurité de Munich a mis en exergue la rivalité sino-américaine. Une rivalité qui peut être incarnée par le cas Huawei et le début du développement à l’international de sa polémique infrastructure 5G. Les États-Unis, qui ont fermé la porte à la 5G par Huawei, font pression sur les pays européens pour qu’ils refusent une entreprise considérée outre-Atlantique comme un « cheval de Troie du renseignement chinois ».

Il faut bien un rival de taille comme la Chine pour réunir sous une même bannière Démocrates et Républicains nord-américains. Les deux camps ne tarissent pas d’avertissements pour mettre en garde contre le géant chinois des télécommunications, leader mondial dans le développement de la future 5G. Des paroles sévères ont été échangées lors de la conférence de sécurité de Munich qui chaque année rassemble pour des débats des dizaines de chefs d’État et ministres, ainsi que des centaines de diplomates, militaires et experts. La « menace chinoise » et la dictature du parti communiste chinois inquiètent autant ses voisins en Asie que la première puissance mondiale qui voit sa suprématie remise en cause. Au conflit commercial et à la rivalité politique comme militaire dans le Pacifique, s’ajoute une rivalité technologique aujourd’hui incarnée par Huawei.

Car Huawei, entreprise créée en 1987 à Shenzhen, n’est pas seulement le numéro deux mondial sur le marché des smartphones, mais aussi un équipementier important pour les réseaux 4G et le leader international dans la technologie 5G. Huawei est technologiquement en avance par rapport à ses rivaux Nokia, Ericsson ou Samsung, et sa conquête du marché international est déjà bien lancée. Comme l’écrivent Geneviève Barré et Jean-Paul Larçon dans leur article « “Going Global”, Huawei et la rivalité technologique sino-américaine » dans le magazine Diplomatie (numéro 101, novembre-décembre 2019), « en moins de dix ans, Huawei est passé du stade d’imitateur technologique à un stade de leader technologique en faisant preuve d’une formidable capacité d’absorption des connaissances technologiques internationales. » Une entreprise qui dépend beaucoup du gouvernement chinois et qui suscite bien des méfiances.

Huawei, pas digne de confiance ?

Washington est inquiet des ambitions technologiques chinoises comme de l’utilisation des infrastructures réseau 5G à des fins d’espionnage. Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo avait qualifié Huawei de « cheval de Troie pour le renseignement chinois ». Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants états-unienne, a quant à elle affirmé à Munich qu’utiliser les infrastructures de Huawei reviendrait à « glisser un policier chinois dans la poche » des citoyens. Une menace qui concernerait les membres de l’OTAN et qui représente une bataille essentielle pour les États-Unis.

Les États-Unis ont déjà interdit à Huawei de développer son infrastructure sur leur territoire et l’administration Trump met la pression sur ses alliés pour qu’ils leur emboîtent le pas. En témoigne explicitement la déclaration il y a dix jours de l’ambassadeur nord-américain en Allemagne Richard Grenell : « Toute nation qui décide d’utiliser un équipementier 5G qui n’est pas digne de confiance met en danger notre capacité à partager des renseignements et des informations au plus haut niveau ». Face aux accusations d’espionnage et de vol de technologies, le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi a répondu lors de la conférence de Munich : « Ce sont des mensonges qui ne se basent pas sur des faits. Les États-Unis n’acceptent pas le succès d’un pays socialiste, mais nous avons le droit de nous développer. J’espère simplement qu’ils ne perdront pas la confiance et leur raison. » Avant d’affirmer qu’« aucune puissance au monde ne pourra nous arrêter », réaffirmant la ferme volonté chinoise de devenir la première puissance mondiale.

Huawei sous conditions dans l’Union européenne

Les États-Unis sont déjà parvenus à convaincre l’Australie et le Japon à écarter la 5G par Huawei, mais en Europe la lutte d’influence est plus ardue, même si les préoccupations de souveraineté sont partagées. Est-ce bien raisonnable de dépendre d’un pays autoritaire comme la Chine, qui en cas de conflit pourrait altérer le réseau comme on peut couper l’électricité, se demandent les plus méfiants ? Dans ce domaine l’Europe ne souhaite pas se plier automatiquement aux exigences nord-américaines, tout en tentant de préserver son indépendance et ses intérêts sécuritaires.

L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Pologne et la Grèce ont déjà prévu que les opérateurs se fournissent partiellement auprès de Huawei comme d’Ericsson et de Nokia. Même les Britanniques ont frustré Donald Trump en donnant un feu vert partiel à Huawei, le premier ministre Boris Johnson arguant du fait que les Chinois n’auront accès qu’aux « parties non sensibles » des infrastructures 5G, et non au cœur du réseau.

La France s’est quant à elle dotée d’une loi sur la sécurité des réseaux mobiles, qui laisse aux opérateurs la possibilité de s’équiper en partie chez Huawei. Cependant il est « parfaitement compréhensible qu’on puisse à un moment ou à un autre privilégier un opérateur européen » a déclaré ce mois-ci le ministre de l’Économie Bruno le Maire. Ce qui a fait réagir le porte-parole de l’ambassade chinoise à Paris qui a défendu… les « principes de l’économie de marché et du libre-commerce ».

Fin janvier, l’Union européenne avait accepté la participation sous conditions de Huawei au déploiement de la 5G, mais selon des règles « strictes » et « exigeantes » a défendu Thierry Breton, le commissaire en charge du Marché intérieur. Selon l’analyse publiée dans le magazine Diplomatie cité plus haut, « il est peu probable qu’une solution unique se dégage au sein même de l’UE, et chaque pays va devoir prendre en compte à la fois ses échanges commerciaux avec la Chine, ses investissements en Chine et les investissements chinois dans le pays, dont ceux de Huawei ».

En prenant un recul salutaire, le Canard Enchaîné publiait le 12 février un article sur « La 5G, détecteur de mensonges ». Et de dénoncer le gouffre énergétique d’une telle technologie, la multiplication par trois du nombre d’antennes, l’absence de connaissance sur les conséquences sanitaires, etc. Il est aussi légitime de se demander en quoi il est vraiment urgent de passer à la 5G, que le matériel soit chinois ou européen, et surtout s’il existe encore des doutes quant à la fiabilité d’un équipementier.

Gaëtan Mortier

Laisser un commentaire

*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.