Alors que la crise sanitaire et économique liée à l’épidémie Covid-19 prend un espace considérable dans les médias généralistes, les guerres en Syrie, au Libye et au Yémen ont presque disparu des écrans radar. Les conflits ne se sont pourtant pas évanouis et prennent au contraire des tournures plus dramatiques. Faisons un point rapide sur la situation de ces trois pays.
Au plus près de l’Europe, le champ de bataille libyen ne connaît pas de trêve, l’escalade se poursuit dans la région de Tripoli. Lors des deux derniers mois, le rapport de force entre le gouvernement d’accord national (GNA) dirigé par Fayez el-Sarraj et les forces du maréchal Haftar semble s’être inversé.
L’offensive d’Haftar sur Tripoli s’enlise du fait du soutien militaire turc au gouvernement reconnu par la communauté internationale. Les troupes d’Haftar appuyées par des mercenaires russes ont connu des revers militaires et, retranchées dans la banlieue sud de la capitale convoitée, elles subissent désormais une contre-attaque. Le gouvernement d’entente nationale tente de desserrer l étau et de reprendre le contrôle de certaines localités côtières. En ce sens la Turquie accroît sa présence militaire en Libye, y compris avec des forces aériennes lourdes qui menacent de passer à l’action.
Les troupes d’Haftar ne souhaitent pas renoncer à leur objectif, et dimanche dernier elles ont publié une vidéo d’un drone turc probablement abattu par un système de défense anti-aérienne de fabrication russe (Pantsir-S1). La course aux forces et au matériel s’intensifie des deux côtés. Les Nations Unies ont dénoncé l’utilisation « de nouveaux armements très inquiétants » dans des zones où se concentrent des civils. Le gouvernement de Tripoli a récemment accusé ses ennemis d’avoir eu recours à des gaz innervants dans un quartier de la capitale.
Samedi dernier un appel à une trêve humanitaire a été lancé par des ministres européens de Affaires étrangères et le haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrel. Des voix qui résonnent dans le vide et s’évanouissent aussitôt… tandis que l’intraitable Haftar, malgré ses récents revers militaires, roulait des mécaniques et annonçait en début de semaine avoir obtenu « le mandat du peuple » pour gouverner la Libye.
En Syrie, un cessez-le-feu respecté ?
A la fin février, les négociations entre la Russie et la Turquie au sujet de la région d’Idlib aboutissaient a un cessez-le-feu après un accès de tension entre les deux puissances. En théorie aucune balle n’aurait été tirée depuis le 1e mars, ce que semble contredire des informations récentes qui font état d’attaques de militaires turcs et de leurs alliés contre l’armée syrienne. Cette dernière n’aurait pas répliqué, mais les détails sur la situation militaire sont rares. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) a indiqué la semaine dernière dans un communiqué que la Turquie est en train d’accroître le nombre de soldats et de véhicules blindés déployés dans le nord de la Syrie.
Le 29 avril nous apprenions qu’un attentat au camion-citerne piégé avait tué au moins 46 personnes – civils et miliaires – à Afrin, ville du nord tenue par l’armée turque et « des forces supplétives » syriennes. Alors que l’attentat n’a pas été revendiqué, la Turquie ne tardait pas à accuser la milice kurde du YPG, contre laquelle elle se bat avec acharnement.
Alors que nous ne ne savons pas à quel point le pays est frappé par l’épidémie de Covid-19, le Programme alimentaire mondial (PAM) informait lundi que le prix des produits alimentaires en Syrie avait doublé en un an. « C’est 14 fois la moyenne d’avant le conflit et c’est la plus élevée jamais enregistrée » selon la porte-parole du PAM, qui mentionne deux facteurs principaux : la pandémie et la crise financière au Liban voisin. Le pouvoir syrien dénonce quant à lui le poids des sanctions économiques imposées au pays par les puissances occidentales, qui pèse sur l’ensemble de la société, et non pas seulement sur les cercles du pouvoir.
Au Yémen, une guerre au sein de la guerre
Le conflit qui oppose au Yémen les rebelles Houthis soutenus par l’Iran et une coalition menée par l’Arabie saoudite se complexifie davantage et n’est qu’à peine entravé par la pandémie de Covid-19. Peut-être en recherche d’un moindre rejet de ses offensives militaires à l’international, la coalition a annoncé la prolongation d’un cessez-le-feu unilatéral jusque la fin mai. Les bombardements ont été suspendus, ce qui ne signifie pas nécessairement une pause dans les combats. Selon l’ONU, se déroule au Yémen la pire crise humanitaire au monde.
Un rebondissement politique a récemment rendu encore plus complexe la situation politique et militaire. Le camp loyaliste, profondément divisé, vient de connaître une scission lourde de conséquences sur le terrain. Le gouvernement doit faire face au séparatisme du Conseil de transition du Sud qui vient de déclarer l’autonomie du sud du Yémen. Les séparatistes avaient déjà pris par le passé Aden, la deuxième ville du pays, avant qu’un accord avec Riyad rapproche les alliés aux vues divergentes. Aujourd’hui ils accusent le gouvernement de ne pas avoir respecté les termes du pacte, notamment la formation d’un gouvernement incluant des représentants de la région en question.
Gaëtan Mortier
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