Le G20 prolonge a minima le moratoire sur la dette des pays pauvres

Le G20 prolonge a minima le moratoire sur la dette des pays pauvres

A la sortie d’une réunion virtuelle ce mercredi, les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales des pays du G20 ont décidé d’un prolongement de six mois du moratoire sur la dette des pays pauvres. Le Fonds monétaire international comme la Banque mondiale avaient insisté sur le caractère indispensable d’une telle décision dans un contexte de surendettement et d’instabilité financière. Au-delà d’une entente sur un moratoire et sa durée, un accord a été trouvé pour que la Chine, premier créancier des pays pauvres, soit partie prenante à cette mesure.

Un accord sur un moratoire de la dette de 76 pays pauvres avait été trouvé par le G20 en avril dernier (lire notre article) et courait jusqu’à la fin de cette année. Son prolongement de six mois amène à juin 2021, quand la situation sera de nouveau examinée pour décider d’un éventuel nouveau terme. Certains pays défendaient la nécessité d’un moratoire plus ambitieux, mais les réticences d’autres au cours des pourparlers ont conduit à ce compromis renouvelable.

Fin septembre, le G7 s’était déjà prononcé en faveur d’une telle décision, tout en insistant sur la nécessité d’une plus grande transparence de la dette et de son allégement. Une crise des dettes souveraines est de fait un scénario craint par les experts de la Banque Mondiale.

Une dette record des pays pauvres

L’initiative de suspension sur service de la dette (DSSI) a jusqu’à présent permis à 43 pays de reporter 5 milliards de dollars de paiements du service de la dette afin de dégager des moyens pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Un montant qui est toutefois inférieur aux 20 milliards évoqués au printemps. Il s’agit donc d’un simple répit selon un rapport d’Eurodad, un réseau européen d’ONG spécialisées sur la dette et le développement. Pour l’auteure de celui-ci, Iolande Fresnillo, citée par CCFD Terre Solidaire, « les suspensions accordées à ce jour ne représentent que 1,6% des remboursements dus par les pays en développement en 2020. Cette initiative de suspension temporaire est très limitée, tant en termes de montant de la dette suspendue, que de pays bénéficiaires ou de créanciers concernés ».

Le fardeau de la dette des pays les plus pauvres a en effet atteint un niveau record en 2019, avant même la pandémie de Covid qui plombe la croissance mondiale et entraîne des efforts budgétaires extraordinaires. Selon des chiffres fournis par les Nations Unies le rythme d’accumulation de la dette de ces pays était près de deux fois supérieur à celui des autres pays à faible et moyen revenu. Une dette qui est détenue avant tout par la Chine mais dont le montant exact est difficilement mesurable. En témoigne le débat sur le chiffre à priori erroné de 40 % de la dette africaine qui serait détenue par le géant asiatique. Par contre «  la part de la Chine dans la dette totale due aux pays du G20 est passée de 45% en 2013 à 63% à la fin de 2019 » selon des données de la Banque mondiale.

Sur le continent la Zambie inquiète particulièrement puisque plane la crainte d’un défaut de paiement de sa dette privée. Ce pays était déjà endetté  à hauteur de 88 % de son PIB avant la pandémie de Covid, et les ministres des Finances redoutent un effet domino sur les quinze autres États africains surendettés.

La Chine s’est finalement ralliée au moratoire

La bonne nouvelle apportée par cette réunion du G20 vient d’un front qui cristallisait des tensions : la participation ou non de la Chine à l’accord, ce qui était loin d’être gagné selon les experts. Le mois dernier les ministres du G7 critiquaient la deuxième économie mondiale, accusée d’éviter de participer à l’initiative, par exemple en classant des institutions publiques telles que la Banque de développement comme des prêteurs commerciaux.

Toutefois, à la veille de la réunion du G20, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois soulignait que son pays attache une grande importance à l’allégement de la dette en Afrique, et qu’il répond déjà activement aux préoccupations de la partie africaine. La Chine, qui impulse en Afrique son projet global de « nouvelles routes de la soie » y multiplie les prêts colossaux pour la construction d’infrastructures à intégrer dans un commerce mondial qu’elle vise à dominer, dans une stratégie d’influence globale. Elle avait jusqu’alors privilégié une « stratégie de la division » en négociant au cas par cas des mesures d’allégement de la dette. Suite aux critiques et pressions, il a été annoncé succinctement hier qu’elle avait rallié le moratoire. « Nous avons établi un cadre commun dans lequel la Chine est partie prenante. C’est une première », s’est réjouit le ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire.

Au sujet des créanciers privés, pressés de toutes parts pour participer à l’effort, les informations sont aujourd’hui rares et floues. L’idée est que la suspension des paiements de la dette ne soit pas utilisée pour rembourser ces créanciers privés, mais plutôt pour financer des mesures économiques et sociales d’urgence. Comme l’écrivait Les Échos à la veille de la réunion du G20, citant une source au ministère de l’Économie français : « Nous avons eu pas mal d’échanges avec l’IIF, l’association des grandes banques privées. S’ils sont d’accord sur le principe, ils ne l’ont toujours pas mis en œuvre malheureusement. » Cette semaine « un cadre commun » aux créanciers publics et privés a été esquissé pour restructurer les dettes, sans plus de précision. Il en faudra davantage pour convaincre les ONG qui luttent contre la pauvreté de la portée comme de l’efficacité des mesures envisagées, elles qui défendaient initialement l’idée d’un moratoire élargi pour une durée d’un voire deux ans.

Gaëtan Mortier

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