Il n’est pas un jour sans que la communauté internationale ou les citoyens guinéens n’interpellent les autorités au sujet du régime répressif et des détentions arbitraires de prisonniers politiques en Guinée. L’étau se resserre autour du président Alpha Condé qui persiste à nier l’existence d’atteintes aux droits humains dans le pays qu’il gouverne.
Dans un de ses ouvrages, l’humoriste belge Noël Godin, dit aussi l’Entarteur, raconte qu’une des rares personnalités à avoir bien réagi à son entartage fut le cinéaste Jean-Luc Godard qui aurait déclaré, recouvert de farine, qu’il s’agissait d’une vraie scène de cinéma. Commentant la gifle qu’il a reçue de la part d’un citoyen, le président français Emmanuel Macron a tenu aussi à rappeler que le jeu démocratique permettait la liberté de critiquer les élites et de briser les idoles. « En République, il y a la liberté d’expression, de controverse, la liberté de vote et le pluralisme démocratique qui fait qu’on peut se séparer des gens à qui on donne mandat de manière régulière et qui votent les lois pour vous », a-t-il souligné.
Amadou Diouldé Diallo : 81 jours de prison et 420 euros pour «offense au chef de l’État»
Ce dernier « épisode » de la vie démocratique rappelle que dans de nombreux pays ce droit est régulièrement bafoué, même lorsqu’il est exercé sans violence, et que la Guinée n’est pas la France. Le 19 mai dernier, le journaliste guinéen Amadou Diouldé Diallo a enfin été libéré, après avoir été condamné à payer une amende de cinq millions de francs guinéens (420 euros) pour « offense au chef de l’État ». Le journaliste venait de passer 81 jours en prison, car il avait eu l’audace de dénoncer la politique discriminatoire envers les Peuls pratiquée par le chef de l’Etat sur une radio privée. Alors même que la loi de son pays n’autorise plus les peines privatives de liberté pour les « délits de presse » depuis 2010.
« Amadou Diouldé Diallo aura été détenu plus de 80 jours arbitrairement pour un simple passage dans une émission de radio. Il est grand temps que la loi sur la presse adoptée en 2010 soit enfin respectée et que les autorités cessent de mettre en prison des journalistes exerçant simplement leur travail », a déclaré le directeur du bureau Afrique de l’Ouest de l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Car l’historien et journaliste de la Radio télévision guinéenne (RTG) n’est qu’une parmi les centaines de personnes arrêtées ou jugées ces derniers mois en Guinée pour s’être opposées au président Alpha Condé.
Usage excessif de la force, manifestants mis à mort et détentions arbitraires
Entre 2019 et 2020 en Guinée, de nombreux manifestants ont été tués, dans le cadre des mobilisations contre un troisième mandat du chef de l’État, jugé par beaucoup inconstitutionnel. Brutalement réprimée, la contestation a débuté plusieurs mois avant le scrutin et n’a fait que s’accentuer à l’issue de ce dernier. « Le combat est héroïque et il sera inévitablement victorieux », avait lancé Cellou Dalein Diallo, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), qui s’est proclamé vainqueur dès le lendemain du premier tour, le 19 octobre 2020. Deux jours plus tard, la police et l’armée ont bloqué sa résidence. « Alors que je suis encerclé dans mon domicile et que des jeunes Guinéens tombent sous les balles des forces de défense et de sécurité sur ordre d’Alpha Condé, je vous adresse un message d’encouragement », a-t-il tweeté.
Plusieurs centaines de personnes, dont quelques personnalités de l’opposition et des dizaines de Guinéens mineurs, croupissent toujours en prison. « Depuis le début de la contestation, en octobre 2019, la stratégie d’intimidation du pouvoir n’a cessé de se radicaliser », dénonçait en début d’année Abdourahmane Sanoh, coordinateur du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui réunit partis d’opposition, syndicats et mouvements de la société civile. « Depuis l’élection, les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force, tuant par balles plus d’une dizaine de personnes et arrêtant des centaines d’autres lors de manifestations ou d’opérations de police dans des quartiers perçus comme favorables à l’opposition », révélait pour sa part Amnesty International.
Aujourd’hui, la situation des personnes détenues est loin de s’être améliorée mais interpelle de plus en plus la communauté internationale. Les États-Unis et l’Union européenne ont dénoncé la mort en détention de deux opposants. « Avec l’Union européenne, nous avons demandé aux autorités de Guinée de faire toute la lumière sur les événements qui se déroulent en ce moment, avec éventuellement des mesures à prendre si cette lumière n’est pas faite », avertissait le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Récemment, 32 députés européens interpellaient le chef de la diplomatie européenne dans une lettre ouverte : « Comment l’UE compte-t-elle mettre en action son nouvel instrument de sanction pour sanctionner ces personnalités responsables de violations graves des droits humains en Guinée ? ».
Alpha Condé nie l’existence des hommes politiques en prison
En février, Amnesty International demandait à nouveau aux autorités guinéennes de « faire la lumière sur les conditions de la mort en détention d’au moins quatre personnes et de mettre fin à la vague d’arrestations ciblant depuis la publication des résultats de l’élection présidentielle d’octobre, au moins 400 militants de l’opposition et de membres de la société civile dans tout le pays ». En avril, l’ONG attirait l’attention sur le cas du militant Oumar Sylla, « détenu arbitrairement » depuis septembre 2020. Le coordinateur national adjoint de Tournons la page Guinée et responsable de la mobilisation et des antennes du FNDC, a été arrêté en pleine rue à Conakry alors qu’il se rendait à une manifestation contre le projet de troisième mandat d’Alpha Condé.
Jeudi 10 juin, Oumar Sylla a été condamné à trois ans de prison ferme pour « communication et divulgation de fausses informations, menaces notamment de violence ou de mort ». Pendant ce temps-là, le chef de l’État Alpha Condé continue à nier l’existence d’incarcérations arbitraires : « Le débat malheureusement ne porte pas sur la définition du détenu politique, mais sur le fait même de nier l’existence des hommes politiques en prison » rappelait le directeur de communication l’UFDG, Joachin Baba Millimono.
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