La percée militaire des talibans a été fulgurante, elle était aussi prévisible. Jeudi matin on annonçait que les combattants islamistes se trouvaient à 150 km de la capitale ; il n’étaient plus qu’à 50 km vendredi matin et, contre toute attente, ils pénétraient dans la capitale dimanche. Le retrait des troupes américaines a motivé l’extension de leur campagne de printemps durant un été accablant pour l’Afghanistan. Et accessoirement pour la réputation des États-Unis. Aux frontières les voisins s’inquiètent, soit en se mobilisant militairement à la défensive (ex-républiques soviétiques soutenues par la Russie), soit en élaborant une diplomatie accommodante (Chine, Iran).
Personne n’avait imaginé que la capitale afghane puisse tomber si vite, pas même le renseignement américain et les analystes militaires qui jeudi dernier donnaient à Kaboul deux à trois mois de survie… Mercredi dernier, « seuls » 65% du territoire afghan étaient tenus par les talibans. Le pays de feu commandant Massoud, qui combattait ardemment les talibans dans les années 90, s’est effondré en un éclair et sans résistance.
Malgré leur retrait militaire confirmé par Joe Biden en avril dernier, les États-Unis ont décidé en milieu de semaine dernière de déployer temporairement 3.000 soldats autour de l’aéroport de la capitale afin de protéger l’évacuation de leurs diplomates. Sans oublier les auxiliaires afghans de l’armée américaine qui ne manqueraient pas de subir la fureur vengeresse des combattants barbus sans uniforme. 3.500 autres soldats américains seront déployés au Koweït au cas où la situation deviendrait encore plus chaude. Les Britanniques ont également annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider leurs ressortissants à fuir le pays. Visiblement les forces turques, à qui l’Otan avait confié le mois dernier la sécurisation de cet aéroport, ne sont ni prêtes ni suffisantes.
Dramatique constat d’un terrible échec américain qui collera très longtemps aux semelles de l’Oncle Sam. Cette guerre est non seulement largement perdue, elle sera aussi un poison à action lente et continue pour la réputation des États-Unis. Trump avait décidé du retour des troupes dès le début de sa campagne électorale afin de satisfaire un électorat las de la guerre ; une fois élu, Biden n’a fait que le repousser de quelques mois. Ce retrait américain, doublé de celui des forces de l’Otan comme le stipule l’accord de Doha de février 2020, est prévu pour la fin du mois (lire notre article « Afghanistan : Biden suggère un pouvoir partagé avec les talibans »). Ne demeurera en défense d’un État afghan impuissant qu’un appui aérien ne pouvant pas grand-chose face à un tel ennemi.
Exhortations, négociations et « realpolitik » chinoise
Quelques pays croient encore en une solution négociée avec les talibans, qui pourtant n’en ont pas l’intérêt aujourd’hui au vu de leur position de force sur le terrain. Au cours des mois passés, les longs pourparlers entre l’État afghan et les insurgés n’ont rien donné, à part l’illusion d’un dialogue (confortable) dans la capitale du Qatar. Toujours à Doha, une réunion internationale s’est tenue mardi dernier avec des représentants du Qatar, des États-Unis, de la Chine, du Royaume-Uni, de l’Ouzbékistan, du Pakistan, des Nations unies et de l’Union européenne. Le but ? Exhorter les talibans « à cesser leur offensive militaire et à négocier un accord politique ». Ce qui ressemble à une incantation. De son côté, le président turc Erdogan s’est dit prêt à rencontrer le chef des talibans afin d’aboutir à un accord de paix.
Du côté de la Chine, qui partage une frontière de 76 km avec l’Afghanistan, le choix a été fait de négocier avec des talibans qui pourtant représentent tout ce que le parti communiste chinois abhorre. L’objectif pragmatique est à la fois sécuritaire et économique. D’une part éviter l’éventuelle propagation d’un foyer terroriste au Xinjiang, en soutien aux Ouïghours. D’autre part favoriser le développement dans la région des fameuses « nouvelles routes de la soie », le projet phare de Pékin pour dominer le commerce mondial.
De froids pourparlers ont déjà eu lieu fin juillet entre le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi et des représentants talibans. Dans le souci d’un gain hypothétique de respectabilité internationale, ceux-ci ont déclaré à la presse que « le sol afghan ne serait pas utilisé contre la sécurité de quelque pays que ce soit ». Wang Yi a quant à lui appelé le mouvement islamiste à « jouer un rôle important dans le processus de paix, de réconciliation et de reconstruction en Afghanistan ».
Iran, Pakistan, Russie : des enjeux contrastés
Comme le détaille un article du Figaro (« Les pays frontaliers de l’Afghanistan anticipent une victoire des talibans »), « le régime chiite en Iran n’a jamais caché son hostilité face aux extrémistes sunnites talibans. Mais depuis l’avancée des derniers mois, le régime des mollahs tente de temporiser ». Comme c’est le cas des États-Unis et d’autres pays, l’Iran appelle depuis un temps à l’inclusion des talibans dans un gouvernement composite. Une volonté de partage qui ne doit guère être partagée par les conquérants…
Bien plus que les 936 km de frontière entre l’Afghanistan et l’Iran, celle avec le Pakistan mesure 2430 km. Comme l’explique le Figaro, « un retour des talibans à la tête de l’Afghanistan offrirait des leviers d’influence important pour le Pakistan ». Les premiers ont effet noué des liens étroits avec l’État pakistanais. Et de rappeler que « jusqu’en 2001, le Pakistan était l’un des seuls pays à reconnaître la légitimité du régime islamiste au pouvoir en Afghanistan ».
En Russie l’inquiétude prend actuellement la forme d’un soutien militaire actif aux pays voisins de l’Afghanistan. En effet trois pays d’Asie centrale, anciennes républiques soviétiques qui demeurent sous l’égide de Moscou, partagent des frontières avec la proie des talibans : le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. De gigantesques exercices militaires ont eu lieu en juillet puis en août en Ouzbékistan ; d’autres manœuvres militaires ont récemment eu lieu au Tadjikistan où la Russie dispose d’une puissante base militaire. L’objectif est purement défensif. Il s’agit d’éviter des infiltrations terroristes, même si les talibans ont promis de ne pas commettre d’attaques contre les pays limitrophes, a rappelé le ministre russe de la Défense. Au-delà de la valeur de leur parole, des groupes terroristes qui leur sont proches pourraient en avoir la tentation.
Gaëtan Mortier
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