Les tensions internationales croissantes poussent le Japon à augmenter drastiquement ses capacités militaires de défense et de contre-attaque. Contentieux historique avec la Russie sur les îles Kouriles, développement du programme nucléaire nord-coréen et tensions avec la Chine, l’archipel nippon est sous pression. Un contexte qui l’incite à pousser le rapprochement avec la Corée du Sud, cet autre allié des États-Unis dans l’Indo-Pacifique.
Le pacifisme japonais inscrit dans sa Constitution de 1947, qui a limité le développement de ses armées durant des décennies, est en cours de révision, voire même de révolution. L’ancien Premier ministre Shinzo Abe avait amorcé la hausse des dépenses de défense, le nouveau chef du gouvernement Fumio Kishida envisage un doublement du budget militaire pour atteindre les 2 % du PIB. Soit le fameux seuil minimal « recommandé » pour faire face aux menaces actuelles (à ce sujet lire « La politique de défense japonaise sur le point de changer radicalement d’orientation ? » sur le site de l’IRIS, l’Institut de relations internationales et stratégiques).
Une révolution à l’orée d’un bouleversement de l’«ordre » international et ses inquiétantes conséquences. En parallèle, l’approfondissement de la coopération avec les États-Unis apparaît plus que jamais essentielle (cf notre article « Contre la Chine, les États-Unis relancent une alliance dans l’Indo-Pacifique »). A cet effet le président américain Joe Biden se rendra au Japon et en Corée du Sud du 20 au 24 mai prochain. Le but de ce voyage est « d’approfondir les liens entre nos gouvernements, nos économies et nos peuples » a annoncé un communiqué américain. Et de faire « progresser l’engagement ferme » des États-Unis pour une région Asie-Pacifique « libre et ouverte ». Déjà en début d’année les ministres des Affaires étrangères et de la Défense américains et japonais avaient affirmé être « déterminés à travailler ensemble pour dissuader et, si nécessaire, répondre à des activités déstabilisatrices dans la région ».
Un rapprochement avec la Corée du Sud, « plus que jamais nécessaire »
Si les principales menaces viennent de Chine et de Russie, la Corée du Nord aime inquiéter ses voisins en musclant son arsenal de destruction massive. Dernière illustration, la dizaine de tests depuis le début de l’année d’un missile balistique intercontinental (dit ICBM, dont la portée dépasse les 5.500 kilomètres). Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a mis en avant fin avril un possible recours « préventif » à l’arme nucléaire. Des mots qui s’adressent d’abord à la Corée du Sud et à son nouveau chef d’État Yoon Suk-yeol, dont le mandat débutera le 10 mai. Promesse a été faite en Corée du Sud de se montrer plus ferme face à l’agité du Nord.
Confrontés aux menaces latentes de la Chine et de la Corée du Nord, Japon et Corée du Sud ont compris que leur intérêt étaient au rapprochement, malgré leur lourd passif historique, après une ère glaciaire de leurs relations diplomatiques. Le 25 avril dernier une délégation sud-coréenne s’est rendue à Tokyo pour rencontrer le ministre japonais des Affaires étrangères, moins d’un mois avant la visite de Joe Biden.
A cette occasion le Premier ministre japonais Kishida a souligné que la coopération stratégique est « plus nécessaire que jamais ». « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du temps pour améliorer les relations » a-t-il ajouté. Le représentant de la délégation sud-coréenne a quant à lui déclaré que « la promotion de relations saines entre le Japon et la Corée du Sud est essentielle à la réalisation d’un ordre international fondé sur des règles. » Soit la lutte de démocraties et du droit contre les déstabilisations, et même les attaques, de régimes autoritaires agressifs.
Des tensions ravivées par la Russie
Les contentieux du Japon avec la Russie ne datent pas d’hier, puisqu’ils sont hérités de la seconde guerre mondiale. Cela concerne avant tout les îles de l’archipel de Kouriles, situées au nord du Japon, à la pointe sud du Kamtchatka. Des terres conquises par les Russes en août 1945, mais toujours revendiquées par les Japonais. Une question stratégique épineuse empêchant depuis plus de 75 ans les deux nations de signer un traité de paix. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a ravivé les tensions, le Japon s’étant associé aux sanctions contre Moscou. « Un cap antirusse ouvertement hostile » a dénoncé fin février le ministère russe des Affaires étrangères. Les deux pays ont chacun expulsé des diplomates au cours du mois d’avril.
Les négociations poussives afin de parvenir à un règlement du différend territorial concernant les îles Kouriles ont été interrompues il y a un mois par les Russes. Ceux-ci ne semblaient de toute façon pas près de céder un pouce de terrain. Les îles en question, « sont jugées stratégiques par Moscou car elles constituent une « zone de front pour protéger la mer d’Okhotsk, écrit le spécialiste de la région Pierre-Antoine Donnet (« Invasion russe de l’Ukraine : quelles conséquences pour l’Asie », sur asialyst.com). La Russie va d’ailleurs probablement étendre son dispositif militaire dans ces îles dans les années qui viennent, estiment certains experts ». L’activité militaire russe a d’ores et déjà été renforcée de la mer d’Okhotsk à la mer du Japon. Des menaces suffisamment claires et angoissantes pour que le Japon, à l’instar de l’Allemagne, révise une politique pacifiste la privant des moyens nécessaires à sa défense.
Gaëtan Mortier
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