Une crise politique d’ampleur se dessine en Slovaquie, où la coalition gouvernementale au pouvoir se fissure après l’ultimatum lancé en août par l’un de ses membres, le parti Liberté et Solidarité, exigeant la démission d’Igor Matovic, ancien Premier ministre rétrogradé au ministère des Finances. Un véritable désaveu pour la coalition politique qui avait, en 2020, réussi à rassembler les colères et à insuffler l’espoir d’une vraie politique anticorruption. Pour retrouver un semblant de popularité, la coalition gouvernementale multiplie les arrestations médiatisées d’individus accusés de corruption, en frisant parfois avec la légalité.
L’espoir d’une politique anticorruption
En 2020, les élections législatives slovaques accordent à OLANO, une coalition de partis aux accents conservateurs et europhiles, plus de 25 % des voix et une avance confortable sur le mouvement social-démocrate SMER, miné par les scandales, qui ne parvient pas à dépasser les 20 %. Avec 53 sièges -sur les 150 du Conseil national-, OLANO réussit à s’imposer comme une force de frappe politique majeure et rassemble autour de lui une coalition courant du mouvement de droite populiste Sme Rodina (« Nous sommes une famille ») jusqu’aux libéraux de Za l’udi (« Pour le Peuple ») et Sloboda a Solidarita (« Liberté et Solidarité »). Cette nouvelle coalition s’est même trouvé une figure de proue et s’incarne à travers Igor Matovic, un jeune député qui a eu l’habileté d’orienter le débat public sur la corruption endémique. Une réussite dans l’un des pays les plus corrompus d’Europe, où les discours sur la collusion entre les élites et les criminels en cols blancs trouvent un terreau électoral fertile.
D’autant que le contexte était porteur. Ces dernières années, de nombreux scandales ont assombri l’horizon du parti social-démocrate avec, en point d’acmé, l’assassinat du journaliste Jan Kuciak en février 2018, à l’origine de révélations sur les liens incestueux entre les élites sociales démocrates et la mafia calabraise. Cette victoire marque aussi la fin d’un monde politique en Slovaquie, sur lequel régnait le SMER depuis une quinzaine d’années.
Les gouvernements Matovic – Heger de crise en crise
Invité à former un gouvernement de coalition, Igor Matovic devient officiellement premier ministre le 21 mars 2020. Depuis, Igor Matovic court de scandales en scandales et peut se targuer d’être aujourd’hui l’homme politique le plus honni de Slovaquie, avec près de 90 % d’opinions défavorables. En juillet 2020, le quotidien slovaque Dennik N révèle qu’il n’aurait écrit que 2 des 79 pages qui composaient sa thèse universitaire en économie, soutenue en 1998, entraînant ainsi le dépôt d’une motion de défiance des partis d’opposition. En mars 2021, il ordonne l’achat de 200 000 doses de vaccins russes Sputnik, pourtant non avalisés par l’Agence européenne des médicaments (EMA), contre l’avis de trois membres de la coalition quadripartite. Il démissionne le 30 mars, au profit du libéral Eduard Heger, lui aussi issu d’OLANO, et prend le portefeuille des Finances. Un honnête lot de consolation.
Il y’a quelques mois, une nouvelle crise est née au sein de la coalition après l’adoption d’un ensemble de mesures anti-inflations, passées grâce au soutien de députés d’une extrême-droite en plein essor dans le pays. Ce nouvel épisode de tensions, le dernier d’une longue série entre Ivan Matovic et Richard Sulik, le chef de file de Liberté et Solidarité, semble devoir mener à l’éclatement inévitable de la coalition OLANO. La popularité défaillante d’Igor Matovic ruisselle ainsi sur l’ensemble du gouvernement, l’actuel Premier ministre, Eduard Heger, n’étant guère mieux loti avec 70 % d’opinions défavorables.
Tentative critiquée de revenir aux fondamentaux
La crainte d’élections anticipées qui verraient sans doute les sociaux-démocrates revenir aux affaires force le gouvernement à revenir à ses fondamentaux. Au nom de la lutte anticorruption, de nombreuses personnalités issues du monde des affaires et des élites politiques slovaques ont ainsi été appréhendées, parfois dans des circonstances douteuses. Avec une préférence pour les personnalités de l’opposition. Des méthodes qui ne sont pas sans rappeler celles des précédents gouvernements, selon le journaliste Martin Sliz du média Aktuality.sk, qui estime que « l’influence des politiciens sur la police ne peut être complètement évitée (en Slovaquie) ». Et l’arrivée au pouvoir d’Igor Matovic n’a rien changé. « Du point de vue de l’opinion, il n’y a pas eu de dépolitisation de la police après les élections législatives de 2020. Elle continue au contraire sur les traces de ses prédécesseurs », poursuit Martin Sliz. La justice aussi reste en partie sous la coupe du pouvoir politique. 65 % des Slovaques considèrent ainsi que l’indépendance des tribunaux et des juges par rapport au pouvoir politique est mauvaise ou très mauvaise, selon les données du dernier Eurobaromètre publié par la Commission européenne en avril 2021.
Ces derniers mois, le procureur spécial Daniel Lipsic a fait montre d’une suractivité dans le domaine. Sa nomination, au début de l’année 2021, avait d’ailleurs fait grincer les dents dans le pays. Trop proche de la coalition gouvernementale avec son ancien parti, le mouvement de droite NOVA, trop partial, condamné pour avoir renversé et tué un piéton en voiture, ancien avocat laissant craindre de potentiels conflits d’intérêts, Daniel Lipsic accumule les failles. De son côté, l’exécutif, par la voix d’Igor Matovic, ne cesse de communiquer sur les réseaux sociaux sur les différentes arrestations. L’ancien juge Kajetan Kicura, membre de la Cour constitutionnelle de la République slovaque, proche du SMER-SD a ainsi été arrêté en avril 2020. Sur son compte Facebook, Igor Matovic a évoqué, comme une victoire personnelle, son « premier scalp ». Dans les milieux d’affaires, plusieurs chefs d’entreprise et entrepreneurs, plus ou moins proches de l’opposition social-démocrate sont eux aussi au cœur de tourments judiciaires. En août 2021, un juge slovaque, Peter Samko, a même critiqué un système judiciaire favorisant « une usine pour la production de pénitents », avec des aveux de proches ou de témoins obtenus à la va-vite et sans vérification préalable.
En juillet dernier, l’ancien Premier ministre slovaque, Robert Fico, s’est ému, dans une lettre adressée aux États-membres du Conseil européen, d’une « situation littéralement critique en Slovaquie » évoquant, entre autres, la détention des « éminents avocats slovaques Robert Kaliňák et Marek Para », fondée selon lui sur des critères arbitraires. Au niveau européen, le cas slovaque inquiète aussi. « Les allégations de corruption sur des motifs politiques risquent d’éroder la coopération entre les différents services, l’efficacité de la lutte contre la corruption, mais aussi la confiance du public dans l’intégrité des institutions », estime la Commission européenne. Quant à la coalition, sa faillite est, à moyen-terme, jugée plus que probable par de nombreux observateurs. Le sentiment de déception, désormais largement partagé au sein de l’électorat slovaque, pourrait entraîner un retour au premier plan du SMER, qui reste la seconde force politique du pays.
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